retour imprimer © Lettre du pS-Eau 72 de Aug 2013

Services publics et gouvernance en zone urbaine post-crise

En République Démocratique du Congo: Accompagner la prise en main des services par les entités locales


[© Solidarités International]

A Béni, dans la province du Nord Kivu, l'ONG d'aide humanitaire Solidarités International a développé entre 2003 et 2012 un partenariat avec la commune et la Régidéso pour réhabiliter les équipements du réseau urbain et améliorer la gouvernance du service de l'eau. Une nouvelle opération engagée à Kalémie s'appuie sur les enseignements de ce programme pionnier.

Durant la colonisation belge et pendant la première partie de l'ère Mobutu, le Congo Kinshasa a connu un fort développement, notamment en ce qui concerne les installations de distribution d'eau potable. A Béni, une usine de potabilisation et un réseau avaient ainsi été construits afin de desservir en centre-ville une population estimée à 75 000 personnes.

Par manque de moyens et d'entretien, le réseau et l'usine sont progressivement tombés en désuétude. Les épidémies de maladies d'origine hydrique se sont multipliées au début des années 2000, favorisées par le conflit armé. C'est dans ce contexte qu'à la demande des autorités locales, Solidarités International a développé le Programme d'adduction gravitaire d'eau potable (Agep). Ce programme a connu 3 phases distinctes depuis 2003 ; chacune d'elles comprenait un volet de construction (hydraulique et génie civil) et un volet de structuration progressive d'un ensemble d'acteurs en vue d'orienter la prise en charge locale complète des structures, une fois celles-ci fonctionnelles, anticipant en cela le retrait de l'Ong.

Première étape La reprise du réseau
La première étape d'intervention (2003-2006) visait à réduire les risques d'épidémie par la satisfaction des besoins grandissant en eau potable d'une population urbaine passée à 240 000 personnes (5 % d'augmentation an­nuelle en moyenne – hors période d'afflux de déplacés).
Une nouvelle usine de production basée sur un système de potabilisation économe en énergie – par rétrofiltration lente sur sable(1) – et un nouveau réseau gravitaire ont ainsi été réalisés, sur financement de l'Union européenne et de l'Afd. Ce nouveau réseau a permis la mise en service de 82 hyper bornes-fontaines comprenant chacune 10 robinets et un réservoir de stockage de 10 m3, réparties dans les 18 quartiers centraux de la ville.

Cette première étape a été mise en œuvre sur la base d'un partenariat direct entre la mairie de Béni, la Régideso, le Comité d'eau potable et Solidarités International. De plus, la forte implication de la population à toutes les phases de mise en place du programme, notamment durant la pose de l'ensemble des conduites dans la ville (ouverture des tranchées, pose et remblaie), a confirmé l'acceptation progressive de ces activités et l'appropriation par la population de ces équipements.

La tarification a immédiatement été mise en œuvre à hauteur de 10 francs congolais le bidon de 20 litres, soit approximativement 500 FC le m3 (environ 0,3 €). Le processus de tarification a été mené en deux étapes : l'établissement d'un barème de tarification, puis la mise en place d'un échange permanent avec la population à la fois autour de la nécessité du paiement du service de l'eau et du tarif lui- même.

Deuxième étape, Assurer la viabilisation du réseau
Avec l'accroissement constant de la ville, la capacité du réseau est devenue insuffisante pour approvisionner l'ensemble de la population. Une seconde phase de travaux a ainsi été développée (2007-2010) avec pour objectif de :
1) mailler l'ancien et le nouveau réseau, en effectuant quel­ques travaux de réhabilitation sur l'ancien réseau ;
2) accroître la capacité de production d'eau potable par la réhabilitation de l'ancienne usine ;
3) augmenter la taille du réseau par la pose de nouvelles lignes en direction des quartiers les plus périphériques et construire 18 nouvelles hyper bornes-fontaines.

En parallèle à ces activités de construction, une attention particulière a été portée au fonctionnement structurel des entités en charge du fonctionnement général du réseau. Cela s'est notamment traduit par l'intégration progressive des acteurs dans une macro structure de partenariat avec des rôles et des responsabilités clairement définies sur base d'un protocole d'accord.
Ce travail organisationnel, objectif secondaire de l'AGEP II, a néanmoins favorisé la troisième phase (AGEP III), au sein de laquelle les rôles de tous les partenaires ont été plus clairement définis et répartis.

Troisième étape, Autonomiser les acteurs locaux
La dernière phase du programme AGEP (2011-2012) avait pour objectifs de viabiliser un fonctionnement équilibré entre acteurs, de restreindre les risques d'impacts négatifs du nouveau réseau sur la structure sociale de la ville, et de mettre en place une stratégie de désengagement progressif de Solidarités International.

Toutes les activités ont ainsi visé à construire une structure opérationnelle de gestion durable du réseau, en partenariat entre les 5 entités impliquées :
1. la Regideso (en tant qu'opérateur du réseau),
2. la mairie ( autorité responsable de la desserte),
3. le Comité d'eau potable – CEP (interface de dialogue entre partenaires, notamment entre la Regideso et ses partenaires) ;
4. l'Association des Mamans 18 (représentante des usagers) et
5. l'association des gestionnaires de bornes-fontaines (en tant que distributeurs de l'eau aux usagers).

Les trois premiers acteurs étaient déjà en place lors du lancement du programme qu'ils ont contribué à initier en qualité de coporteurs du projet. En revanche, les deux derniers ont été formalisés pendant le programme à partir des besoins de gestion des points d'eau par les gestionnaires, et la nécessaire re­pré­sentativité de la population dans les instances décisionnelles pour les Mamans 18. Bien que complexe, l'implication de ces nouveaux acteurs s'est avérée nécessaire.

Les activités d'appui ciblaient à la fois le volet technique (formation en hydraulique et en génie civil, écriture d'un plan de maintenance avec les parties prenantes), le volet financier (formation à la gestion financière, écriture d'un plan de fonctionnement financier, développement d'activités génératrices de recettes, sensibilisation de la population au paiement du service d'approvisionnement en eau), mais aussi le volet fonctionnel (ateliers de renforcement des capacités, officialisation des rôles et responsabilités des parties prenantes, sensibilisation de la population aux pratiques d'hygiène et à la gestion démocratique).

La mise en place de ces activités s'est accompagnée d'une responsabilisation complète des acteurs en place grâce à un accompagnement progressif autour des tâches liées à la gestion du réseau (technique, financier, concertation, etc.), et à un travail d'analyse pour adapter au mieux le positionnement de l'équipe opérationnelle d'appui au projet. Etaient notamment posées les questions de son positionnement en tant que médiateur de conflits au sein du comité de gestion concerté, et de son positionnement de facilitateur pour renforcer les capacités de plaidoyer des usagers en vue d'assurer la transparence des partenaires et les échanges d'informations.

Dans les ateliers de travail, une attention particulière a en effet été portée sur les aspects « plaidoyer » pour les acteurs issus de la société civile et notamment pour les représentantes des usagers, les Mamans 18, afin de renforcer l'aspect défense des usagers. Dans le contexte de l'est de la République Démocratique Congo, où la concertation n'est pas une pratique habituelle des institutions étatiques, les représentantes des usagers se retrouvaient souvent en situation de faiblesse vis-à-vis d'entités plus fortes, qui peuvent imposer leur décision unilatéralement. Ainsi, un processus de fond s'est déroulé avec les personnes ressources de l'association, afin qu'elles soient en capacité d'analyser les problèmes et leurs sources, d'en définir les raisons puis d'identifier des parades aux fonctionnements problématiques identifiés.
L'approche « atelier » et non « formation » s'est trouvée d'autant plus pertinente qu'il était alors question de travailler sur la confiance des personnes pour qu'elles arrivent à progressivement s'imposer dans les discussions et les prises de décisions.

Appréhender la ville dans sa globalité
En milieu urbain, les interventions classiques d'acteurs humanitaires sont confrontées à de nombreuses interactions avec un tissu social fort et souvent complexe à analyser. A la différence de modes d'intervention privilégiant une échelle de type foyer où la base d'action se concentre sur des modes de fonctionnement à l'échelle du ménage, ce programme a été mis en place au niveau d'une ville dans sa globalité. Ce premier aspect explique en partie le travail de fond réalisé avec et par les divers partenaires qui ont représenté indirectement les intérêts des bénéficiaires dans la conduite de l'opération.

L'Ong, en structurant son action en trois phases distinctes, souhaitait progressivement se désengager de la gestion du système d'approvisionnement en eau potable afin de laisser la place aux entités locales. Ce processus visait à couper un cycle pervers de déresponsabilisation des entités, notamment étatiques ou mandatées par l'Etat. Ainsi, passer d'une approche largement technique (la construction du réseau) à une approche basée sur l'accompagnement des entités locales dans la prise en main de cet ensemble technique a été gage de la réussite finale du programme.

De l'action humanitaire au rôle de facilitateur
Cependant, bien que tous les indicateurs du programme aient été atteints, beaucoup reste à faire. A Béni, Solidarités International a pré­vu un suivi de l'évolution de la capacité des entités à gérer le réseau, pour d'une part intervenir en appui si besoin (toujours en tant que médiateur et non en tant que partie directement impliquée), et pour d'autre part tirer des conclusions sur l'approche générale de ce programme.

En intervenant dans un milieu urbain en situation de post-crise, mais toujours marqué par une forte instabilité politique, Solidarités In­ter­­­national a modifié son positionnement habituel. D'un acteur de l'aide humanitaire directe, cette intervention a nécessité un positionnement indirect en tant que facilitateur, au regard de l'importance de la prise en considération des acteurs locaux et de leur appropriation réelle des installations.

Ce projet montre que des projets d'approvisionnement en eau durables, structurés, participatifs, dans un contexte compliqué et considéré comme instable, sont possibles. L'exemple pilote de Béni fait figure de projet pionnier pour l'est de la RDC et son impact à long terme mérite d'être suivi sur la durée.
D'ores et déjà, l'approche développée à Béni est reprise au sud-est du pays, au Katanga, dans la ville de Kalémie. Ce projet s'inscrit dans le cadre d'un schéma directeur établi il y a plusieurs années, qui entre aujourd'hui dans une phase de renforcement de la gestion concertée du système. Il confirme de nouveau qu'il est possible d'agir sur des réseaux urbains dans des zones considérées traditionnellement comme trop insta­bles et insécurisés, pour y mener des actions de long terme.

Le projet en cours à Kalémie répond à un besoin d'amélioration structurelle, aussi bien technique qu'organisationnelle, du système de distribution d'eau potable pour une ville de 250 000 habitants, considérée comme la principale zone source du choléra en RDC. De la même manière qu'à Béni, un diagnostic mené en commun avec la Regideso, en partenariat avec la fondation Veolia Environnement pour l'appui technique, se traduit avec l'appui de la communauté de communes du Pays voironnais et des agences de l'eau Seine-Normandie et Rhône Méditerranée Corse par la réhabilitation en phases successives de la totalité du réseau et l'amélioration de la gouvernance du service.


(1): Process développé par le bureau d'études français Aquatrium.


Grégory Bulit
Solidarités International
Email:
GBulit@solidarites.org
Site internet: www.solidarites.org

Joseph Benita
Solidarités International
Responsable de programme Béni (2010-2012)
Email: jsphbenita@gmail.com

Gustave Chishweka
Président du Comité d’eau potable de Béni
Email: gustavolubala10@yahoo.fr

Comité d'eau potable de Béni - Béni - Congo Rép. Dém.
Solidarités International - Béni - Congo Rép. Dém.
Solidarités International - Clichy la Garenne - France
 

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