retour imprimer © Lettre du pS-Eau 72 de Aug 2013

En Palestine: Gestion des services d'eau dans la région de Maythalun: Quelle politique de recouvrement pour des services pérennes ?


Pose des réseaux à Maythalum.[©AFD]

En Palestine, l'alimentation en eau par des réseaux est toujours perçue comme une amélioration majeure de la qualité de vie. Malgré un coût inférieur à celui pratiqué par les livreurs d'eau, le paiement du service de l'eau reste pourtant très irrégulier et met en péril la viabilité des opérateurs. Amélioration du service et baisse du prix de l'eau ne riment donc pas nécessairement avec recouvrement performant.

L'alimentation en eau des populations de Cisjordanie est très largement réalisée par l'intermédiaire de réseaux de distribution collectifs. Un rapport de l'Autorité palestinienne de l'eau, publié en mars 2012, indiquait ainsi que le taux de raccordement atteignait déjà 96 % en 2010. Quand ce n'est pas le cas, l'approvisionnement en eau des foyers repose sur la collecte d'eau de pluie en saison humide et l'achat d'eau par l'intermédiaire de camions-citernes en saison sèche.

De 2007 à 2012, dans le cadre de son intervention en Territoires palestiniens, l'Agence Française de Développement a financé la mise en œuvre d'un service d'eau collectif pour six villages (22 000 habitants) de la région de Maythalun, dans le nord de la Cisjordanie. Ce projet, d'un montant total de 10,6 M€, a permis la réalisation des infrastructures de production et de distribution d'eau, la sécurisation de l'alimentation par une interconnexion avec un autre réseau de distribution ainsi que l'appui à la mise en place d'un syndicat intercommunal d'eau et d'assainissement responsable de la gestion du service. L'ensemble des infrastructures rendu opérationnel, le service est devenu effectif en février 2012.

Dans ce contexte, l'AFD a entrepris la réalisation d'une étude visant à appréhender les enjeux liés à la mise en place d'un service collectif de l'eau en Territoires palestiniens. Réalisée en collaboration avec l'Autorité palestinienne de l'eau et le syndicat intercommunal d'eau et d'assainissement de la région de Maythalun, cette étude s'est déroulée d'avril 2011, avant la mise en service du réseau, à septembre 2012, six mois après l'émission de la première facture. Elle s'appuie notamment sur l'analyse des données de consommation et de règlement des factures d'un échantillon de 100 consommateurs de deux villages, interrogés à intervalles réguliers, et sur le suivi clientèle effectué par le syndicat.

Après six mois de fonctionement, plus de 90 % des personnes interrogées en septembre 2012 se déclaraient satisfaites par le nouveau service. Conformément aux attentes exprimées lors de la première série d'entretiens en juillet 2011, ces usagers reconnaissaient que la continuité du service, la qualité de l'eau fournie et son prix moins élevé étaient les avantages majeurs de l'approvisionnement en eau par des réseaux. Il est en effet estimé que le coût moyen d'approvisionnement par les réseaux est 2,3 fois inférieur au coût d'approvisionnement par camions-citernes(1). Grâce à ce mode de service, le développement de nouvelles activités était également rendu possible pour plusieurs foyers (augmentation des surfaces cultivées à l'échelle du foyer et/ou augmentation de la taille du cheptel).

En termes de consommation, le sentiment général reflétait une impression d'augmentation depuis la mise en service des réseaux. Il est évident que des conclusions ne peuvent être tirées à ce stade, même si les données du syndicat tendent à confirmer, dans une moindre mesure, cette tendance à la hausse. Le calcul de la consommation moyenne sur la saison estivale (avril à septembre) met ainsi en évidence une consommation journalière par habitant de 71 l/j/hab contre une valeur de 61 l/j/hab calculée en juillet 2011, à partir du nombre moyen de camions-citernes approvisionnés sur la même période. Les évolutions observées ne sont donc pas significatives d'un changement radical des pratiques.

Des impayés équivalents à trois fois le chiffre d'affaires du syndicat
Cette observation est d'ailleurs également illustrée par l'évolution saisonnière de la consommation qui traduit la primauté de l'eau pluviale sur l'eau des réseaux. En saison hivernale, l'utilisation de l'eau de pluie est en effet encore largement perçue comme la solution à privilégier, principalement parce qu'elle est gratuite. Ce mode de gestion traditionnel de la ressource se traduit par une très forte saisonnalité de la demande qui constitue un défi supplémentaire pour le gestionnaire du service.

L'immense majorité des personnes interrogées avant la mise en service des réseaux confirmait sa volonté de payer pour le service reçu et reconnaissait, quelques mois après, que le service reçu était à la hauteur de ses attentes. Malgré cela, le taux de recouvrement des factures observé est loin d'être satisfaisant : 65 % seulement pour l'échantillon d'usagers des deux villages ! Le tarif en vigueur, déterminé sur la base d'un plan financier permettant au syndicat d'atteindre le petit équilibre (couverture des frais d'exploitation uniquement), est pourtant conforme à ceux appliqués dans la région. Il convient quand même de souligner ici que le coût appliqué, bien que validé par le régulateur national, est légèrement supérieur au prix indiqué par la plupart des ména­ges interrogés à l'occasion de l'enquête socio-économique d'avant-projet ainsi que pendant la première série d'entretiens.

Le constat est similaire au niveau du syndicat. Après seulement quelques mois de service, 75 % des usagers sont endettés et le montant moyen de leur dette représente environ 4 fois celui d'une facture mensuelle moyenne en saison estivale. A la fin du mois de novembre 2012 (soit 8 mois après l'émission de la première facture), le montant total d'impayés s'élevait ainsi à 660 000 NIS (132 000 €) et représentait près de trois fois le chiffre d'affaires mensuel moyen du syndicat. Il est cependant intéressant de souligner que le montant des dettes est fortement variable. Ainsi, sur l'ensemble des usagers endettés, 71,4 % ont une dette inférieure à 300 NIS (60 €) représentant 35,6 % du montant total d'impayés tandis que les 12,5 % d'usagers les plus en­dettés détiennent 38,5 % de la dette totale.

Des modalités de paiement trop peu contraignantes
Ces observations démontrent donc que l'amélioration de la qualité du service et la baisse du coût de l'eau ne sont pas suffisants, à eux seuls, pour assurer un paiement régulier de la part des usagers. Si cette conclusion pourrait être généralisée à d'autres con­textes, les résultats des entretiens réalisés dans la région de Maythalun montrent par ailleurs que le paiement du service de l'eau n'est pas vu comme injuste ou aberrant par les usagers palestiniens. Ainsi la plupart des ménages interrogés au sujet des raisons de leur non-paiement, reconnaissent être en capacité de payer mais avouent ne pas le faire parce qu'ils n'en sont pas obligés, et font d'autres choix d'allocation de leur budget !

Si les modalités de paiement appliquées par le syndicat sont considérées comme convenables par les usagers interrogés, elles demeurent en effet très peu contraignantes. Ainsi, les abonnés peuvent payer directement au collecteur lors de son passage mensuel, se rendre au bureau principal du syndicat situé à Maythalun (distant d'environ 10 km des villages les plus éloignés) ou payer auprès d'un employé du syndicat envoyé chaque samedi au niveau de chaque municipalité. Le paiement repose donc à ce jour sur leur seule bonne volonté mais, comme le démontrent les données de recouvrement, cette méthode a ses limites. D'ailleurs, le paiement régulier des services publics en Territoires palestiniens sur une base volontaire (dans le sens où celui-ci découlerait d'une décision librement choisie et non imposée) n'est pas commun.

Interrogés à ce sujet, les usagers semblent accepter volontiers l'idée de mesures les contraignant à payer régulièrement (consistant par exemple à couper les connexions au-delà d'un certain nombre de factures impayées ou à installer des compteurs à prépaiement). Les discussions laissent même penser que ce genre de mesures peuvent, en quelque sorte, être attendues par les usagers puisqu'elles leur permettraient de mieux gérer leur budget alloué à l'eau. En imposant un paiement régulier de la facture d'eau, ces mesures coercitives permettraient ainsi d'éviter d'atteindre un niveau d'endettement conduisant à une réelle incapacité de payer. De la même manière, l'hypothèse d'un paiement bimestriel est en général rejetée sous prétexte qu'il est plus facile de s'acquitter régulièrement de petits montants qu'épisodiquement de sommes importantes.

Dans la région de Maythalun, la mise en place de mesures coercitives apparaît donc envisageable au regard de la situation. Il paraît même important pour la pérennité du service que le syndicat adopte rapidement de telles solutions avant de se retrouver dans une situation financière délicate. Pour ce faire, il doit cependant impérativement apporter un service technique et commercial irréprochable à ses usagers (cette condition étant remplie à ce jour). De même, la mise en place de ces mesures de rigueur doit être accompagnée d'un effort particulier en termes de sensibilisation, notamment concernant le niveau du tarif demandé, tant auprès des élus, qui doivent soutenir la démarche du syndicat des eaux, qu'auprès des usagers.


(1). En période estivale, la consommation mensuelle moyenne par branchement est de 12 m3. Le coût pour 12 m3 d'eau est de 138 NIS, soit 27,6 € pour une eau livrée par camion-citerne et de 60 NIS, soit 12 € pour l'eau fournie par les réseaux.


Thibaut Le Loc'h
Email:
thibautleloc@hotmail.com

Hervé Conan
Email: conanh@afd.fr

AFD - Jérusalem - Palestine
AFD - Paris - France
 

Forage en cours de construction à Siris.[©AFD]
 

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