retour imprimer © Lettre du pS-Eau 70 de Oct 2012

Interview de Julie Gauthier, coordinatrice du cluster WASH Mali

Le Mali a plus que jamais besoin de solidarités

Créés par les Nations unies, les clusters sont des cellules de coordination de l'ensemble des intervenants sur une problématique donnée dans des pays souffrant de crise humanitaire. Julie Gauthier est coordinatrice du cluster WASH1 mis en place au Mali en avril 2012. Son témoignage souligne combien le retrait des acteurs de la coopération serait dommageable aux populations maliennes, notamment celles qui souffrent de manière endémique de malnutrition, au Nord comme au Sud.

• Quels sont les principaux enjeux en matière d'accès à l'eau et à l'assainissement au Mali actuellement ?
Les taux de couverture en eau potable et en assainissement étaient déjà faibles au Mali avant le conflit. Mais le conflit au Nord, les déplacements internes de population, le départ massif de personnels qualifiés et responsables locaux, la défaillance du fonctionnement des structures de l'Etat au Nord et leur faiblesse grandissante au Sud, dû notamment au gel des aides bilatérales et à la chute drastique du PIB (passé de + 6 % à – 4 % prévus pour 2012), la crise nutritionnelle et alimentaire, les sécheresses récurrentes, les atta­ques acridiennes et l'épidémie actuelle de choléra… sont venues exacerber et aggraver les faiblesses initiales.

En zone rurale, de nombreux ouvrages ne sont plus maintenus par manque de fonds ou de personnel qualifié, et dans les villes les réseaux fonctionnent de manière très irrégulière, en fonction des donations de carburant, de matériels de traitement de l'eau et pièces détachées.

L'accès aux produits d'hygiène (savon, eau de javel, chlore, etc.) est devenu plus difficile avec la diminution de l'approvisionnement et l'inflation observée sur les prix de ces produits.
Le déplacement de populations a fortement accru la pression sur des points d'eau qui peinaient déjà à satisfaire les besoins des résidents habituels. Nombre de déplacés se concentrent près de points d'eau naturels de surface (fleuve, rivière, marigot) et consomment bien souvent l'eau sans la traiter, tout en conservant des habitudes de défécation à l'air libre, aggravant ainsi la prévalence des maladies hydriques liées à l'eau, notamment les diarrhées et le paludisme. Par ailleurs, le choléra est arrivé dans la région de Gao, en provenance de l'autre côté de la frontière, du Niger, où l'épidémie fait rage. Les acteurs humanitaires s'activent à circonscrire l'épidémie pour éviter qu'elle ne se propage à d'autres régions plus peuplées et fragiles.

• Quelles relations entretient le cluster avec les institutions nationales concernées ?
Le cluster est coprésidé par les autorités maliennes et toutes les institutions nationales concernées par le secteur y sont présentes, notamment la direction nationale de l'Hydraulique, et la direction nationale de l'Assainissement et du contrôle des pollutions et des nuisances. Leur implication dans cette phase est importante, à la fois pour garantir la coordination et le respect des normes sur le territoire national, pour apporter de l'information issue de leurs bases de données, mais aussi en collecter afin d'enrichir les connaissances sur les acteurs présents, l'état des lieux de la couverture et l'état des besoins. Elle est également primordiale pour que soit ensuite assurée au mieux la sortie de crise et la transition vers la phase de post-urgence.

• Comment cela se passe-t-il aujourd'hui pour intervenir dans le Nord du pays ?
Certaines ONG, comme ACF, Solidarités, IRC, Oxfam, Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, etc., réussissent à maintenir leur présence dans les régions du Nord car elles ne représentent aucun Etat et respectent strictement les principes indispensables à toute intervention humanitaire : la neutralité, l'impartialité et l'indépendance.
Des ONG nationales sont également à l'œuvre et de nombreux partenariats se sont créés entre les ONG internationales et nationales pour renforcer leurs actions sur le terrain. Le personnel des ONG internationales sur place est à très forte majorité malien, supervisé parfois par des collègues africains.

• Est-il possible de poursuivre les programmes de coopération au développement dans le contexte actuel ?
Oui, et c'est très fortement souhaitable, même crucial, notamment dans les régions du Sud, qui sont affaiblies par les évènements successifs de ces derniers mois, et vont l'être davantage si toutes les coopérations s'arrêtent. D'autant que le Sud est davantage peuplé que le Nord et qu'il connaît donc des besoins encore plus importants en termes d'accès aux services d'eau et d'assainissement. C'est aussi au Sud que se trouve la plus grande surface de terres cultivées, mais paradoxalement, les problèmes de sécurité alimentaire y sont accrus, du fait du remplacement progressif de l'agriculture vivrière par l'agriculture de rente. Rappelons que 87 % des enfants souffrant de malnutrition aigüe se trouvent dans le Sud du pays, et il est indéniable que de mauvaises conditions d'accès à l'eau et à l'assainissement au niveau des centres de prise en charge, ou des villages et des quartiers urbains, fragiliseront encore plus les enfants malnutris.

Même si, contrairement à ce que l'on croit, le Nord n'est pas « fermé », il est tout de même difficile pour des coopérations décentralisées françaises d'y intervenir seules, en courant le risque que leur aide soit détournée au profit de groupes armés ou d'actes de prosélytisme ; un réel suivi de l'utilisation des fonds est indispensable dans un tel contexte. L'aide humanitaire visant à répondre aux besoins des populations du Nord et accroître leur résilience doit donc pour l'instant transiter plutôt par des ONG humanitaires qui interviennent quotidiennement sur le terrain, de façon neutre.

En revanche, dans le Sud du pays, les coopérations décentralisées et associations françaises peuvent tout à fait intervenir et cela est même vital pour les populations, leurs capacités de résilience, la stabilité de la région et la pérennité des actions menées jusqu'à maintenant. Il importe que ces appuis continuent, voire se renforcent. Les divisions administratives fonctionnent toujours au Sud et des comités de crise ont été mis en place par les gouverneurs de région, qui travaillent en lien avec les clusters, pour s'impliquer dans la gestion de la crise.

Les acteurs de développement qui interviennent aujourd'hui au Sud conservent leurs méthodes d'intervention: mise en place de comités pour gérer les points d'eau réalisés, implication des communautés dans les projets, renforcement des capacités locales, etc. Il ne s'agit surtout pas d'employer des méthodes d'urgence «classiques», telles que la distribution massive de savons ou d'intrants, qui déséquilibreraient complètement le marché. Il convient plutôt de dé­velopper des approches innovan-tes comme le transfert d'espèces, la mise en place du ticket modérateur pour favoriser l'accès aux soins par exemple, de manière à conserver les mécanismes de résilience des populations, les structures existan­tes et ne pas dénaturer le système en place. Sur ces questions, les acteurs humanitaires et de développement travaillent à améliorer leur coordination et renforcer la cohérence dans les programmes.

Agir au Sud, par des projets de réhabilitation de points d'eau par exemple, est toujours possible dans le contexte actuel, avec un suivi qui peut éventuellement être assuré par une association locale malienne ou une ONG française présente sur le terrain. J'en appelle donc aux collectivités françaises, aux agences de l'eau, qui soutiennent des projets dans le cadre des lois de la coopération décentralisée et de la loi Oudin-Santini, pour qu'elles poursuivent leur action essentielle au Mali, afin d'éviter une fragilisation des régions du Sud qui serait catastrophique pour les populations, et pour toutes les avancées gagnées jusqu'à aujourd'hui grâce à leur aide dans le secteur de l'eau et de l'assainissement.


Julie Gauthier
coordinatrice du cluster WASH Mali
Email:
jgauthier.unicef@gmail.com

UNICEF - Bamako - Mali
 

Nombre de cas de malnutrition par régions au Mali en 2011
 

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