retour imprimer © Lettre du pS-Eau 69 de Apr 2012

Mauritanie: Migration et coopération en milieu rural: De l'eau potable à Melgué: un pari gagné

Le GRDR (Groupe de recherche et de réalisations pour le développement rural) appuie depuis 1969 la promotion sociale, culturelle et économique des migrants subsahariens en France et le développement de leurs régions d'origine. Entre 2009 et 2011, cet engagement s'est traduit par l'accompagnement de l'initiative conjointe des ressortissants et villageois de Melgué, dans le Sud mauritanien, rejoints par de nombreux partenaires financiers. Retour sur ce projet présenté lors du Forum mondial de l'eau à Marseille.

En Mauritanie, l'Etat a engagé depuis 1975 d'ambitieux pro­grammes d'hydraulique rurale, qui constituaient un enjeu considérable compte tenu de la sédentarisation très rapide de la population. Jusqu'à 2005, ce sont près de 4 000 points d'eau modernes qui ont été construits en milieu rural et plus de 400 réseaux de distribution d'eau potable qui ont été installés, pour desservir une population rurale et semi-urbaine d'environ 1,5 million d'habitants. Les besoins à couvrir demeurent cependant importants, notamment en zone rurale, ainsi par exemple que la commune de Baidiam, dans la wilaya du Guidimakha, au sud de la Mauritanie.

Accessible seulement par piste, le village de Melgué se trouve à environ 8 km au sud de la commune de Baidiam. La population compte environ 1800 habitants pour 350 à 400 familles. En 2008, le taux d'accès à l'eau potable dans la commune n'était que de 47 %. Jusqu'alors durant l'hivernage les populations s'alimentaient en eau dans les oueds, avec tous les risques que cela comporte.

Le comité de développement local de la commune (soutenu par les instances de concertation) a estimé les besoins en eau de la localité à 30 m3 par jour et par habitant et inscrit, dans le plan de développement communal, l'accès à l'eau potable et à l'assainissement comme besoins prioritaires pour les populations.
La mise en œuvre du projet «AEP Melgué» a été possible grâce à l'appui financier de la ville de Paris, du Forim, du Syndicat des eaux d'Ile-de-France, de l'Association des ressortissants de Melgué et de la commune de Baidiam.

Les partenaires institutionnels, associatifs et techniques étant nombreux (cf. encadré ci-contre), des échanges continus ont été nécessaires pour obtenir le consensus sur la répartition des rôles.
– le GRDR a accompagné l'ARMF dans le montage du projet et la recherche du financement auprès de la ville de Paris, du Forim et du Sedif et a joué le rôle d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ;
– la commune de Baidiam, qui a la maîtrise d'ouvrage du projet, a mobilisé des financements sur son Fond régional de développement. Le FRD est une dotation annuelle de l'Etat à toutes les communes mauritaniennes pour sa contribution aux budgets communaux en fonctionnement et investissement selon deux principaux critères : la taille de la population et la capacité de la collectivité à mobiliser des ressources locales. Le montant de la dotation varie du simple au triple entre les petites et les grandes communes, notamment urbaines. A titre d'exemple, le FRD de la commune de Baidiam était en 2011 de 12 000 000 UM et celui de Sélibaby de 18 000 000 UM) ;
– les services techniques, à travers la direction régionale de l'hydraulique et de l'assainissement du Guidimakha, ont été associés dans les moments clés du projet : mise en place du comité de pilotage, réception des travaux de forages et de l'AEP. Au préalable, l'autorisation de la mise en œuvre du projet a été délivrée par la DRHA du Guidimakha.
– l'ARMF : à l'initiative du projet, l'association des migrants de Melgué a mobilisé des fonds sur la cotisation de ses adhérents et porté le volet communication et plaidoyer en France. Les membres du bureau de l'ARMF ont ainsi assuré : l'organisation des réunions d'information et de sensibilisation des autres migrants pour mobiliser des fonds dans les foyers ; la transmission des rapports d'avancement du projet aux partenaires financiers ; l'organisation de rencontres avec la ville de Paris et le Forim pour échanger sur l'état d'avancement du projet et les difficultés rencontrées.

Des contraintes d'exécution face à des imprévus
Le projet a été mis en œuvre entre juin 2009 et avril 2011 avec quelques contraintes et difficultés dont :
– la sous-estimation du budget initial des actions, ce qui a occasionné la recherche de financements complémentaires ;
– l'augmentation du coût des matériaux sur le marché local entre 2007 (année d'élaboration du budget) et 2010 ;
– l'impossibilité technique d'exploiter le forage existant (débit insuffisant après essais de pompage) pour une AEP ;
– le lancement d'un premier appel d'offre infructueux pour les travaux de forage ;
– à la demande des migrants et des populations du village, le changement du dispositif d'exhaure, du thermique au solaire. Trois principales raisons ont motivé les migrants, les populations et les autorités communales pour ce passage au solaire à la place du thermique: un coût d'exploitation moins onéreux, l'augmentation rapide du coût du gasoil dans la zone et les difficultés rencontrées par les délégataires des AEP « thermique » sur la zone.

Le 18 février 2011, la commune de Baidiam a réceptionné les réalisations : un château d'eau de 30 m3 en béton armé surélevé de 10 m et 3 bornes-fontaines avec un système d'exhaure solaire. La population de Melgué dispose aujourd'hui d'eau potable de manière pérenne. Un comité de gestion des ouvrages a d'ailleurs été mis en place pour assurer le bon fonctionnement des ouvrages.

Suite à la promulgation du code de l'eau en 2005, la gestion des AEP est étendue à des opérateurs privés par le biais d'une délégation du service public (DSP). Les exploitants sont sélectionnés sur appel d'offres sous la supervision de l'autorité de régulation. Si le code de l'eau préconise que, quelle que soit la taille de la localité, plus de 500 habitants doivent disposer d'une AEP et que la gestion soit déléguée à un opérateur recruté sur la base d'une réponse à un appel d'offres, à Melgué, le choix du village, largement déterminé par les dirigeants de l'association des ressortissants en France s'est porté sur un mode de gestion local communautaire. En effet, d'une part le modèle promu par l'Etat n'a pas complètement fait ses preuves et, d'autre part, il est apparu pertinent de donner un poids conséquent à la voix du village et de ses ressortissants, engagés depuis de nombreuses années sur la question de l'accès à l'eau potable.

La formation des membres du comité de gestion a été assurée par l'équipe du GRDR. Elle a porté sur le rôle du comité et de ses membres, les aspects techniques et financiers de la gestion des AEP.
Outre la défense des intérêts communs de la population dans le domaine de l'eau potable, les missions du comité de gestion sont :
– de superviser et rendre compte aux populations et à la commune de l'exploitation de l'adduction d'eau par le gestionnaire désigné ;
– de contribuer à la mobilisation des ressources au besoin en cas de panne grave ;
– de participer à la construction d'un consensus au tour de la gestion et de l'exploitation des ressources ;
– de jouer un rôle d'interface entre le gestionnaire et les usagers.
Son bureau élu en assemblée générale par la population est composé de six personnes (élues) dont deux femmes et un représentant des migrants au village.

Les populations ont également été concernées par des mesures d'accompagnement social, notamment par des séances de sensibilisation spécifiques concernant la fixation du prix de l'eau, l'hygiène, etc. Sur la base de son expérience dans le cadre de la mise en œuvre de la composante assainissement du PEGG (projet eau Guidimakha-Gorgol), le GRDR a animé des séances de sensibilisation à l'hygiène de l'eau, avec pour objectif de faire évoluer le comportement des habitants de Melgué.

Des impacts positifs avérés
Les femmes du village, fortement sollicitées lors de l'exhaure et de la manipulation de l'eau, ont été le principal public visé par ces formations. Elles consistaient en l'animation de saynettes de théâtre de quelques minutes illustrant les modalités de contamination de l'eau et leurs conséquences sur la santé humaine ; les contaminations d'origine fécale ont fait l'objet d'une attention particulière. Ces séances, animées en langue puular, se concluaient par des recommandations pratiques pour prévenir la contamination de l'eau. Elles se sont déroulées à plusieurs reprises de manière à obtenir le résultat recherché.

Un contrat de délégation de gestion de l'AEP a été signé entre la commune de Baidiam et le comité de gestion. Ce contrat est accompagné d'un cahier des charges qui rappelle de manière très détaillée les rôles et responsabilités de chaque partie.
La tarif du service, fixé à 250 UM par m3 (soit 0,65 centime €), est le même au niveau des bornes-fontaines qu'au niveau des branchements. Il couvre tous les coûts d'exploitation et de renouvellement. Il a été fixé en s'alignant sur l'arrêté ministériel concernant le périmètre du PEGG dont la commune de Baidiam fait partie. Ce prix maximal autorisé et accepté par tout le village a été calculé sur la base d'un compte d'exploitation prévisionnel calculé par l'agence de régulation de l'eau, avec pour référence un système d'exhaure thermique, plus coûteux en fonctionnement, carburant et lubrifiants que le système solaire installé à Melgué.

Le comité de gestion a été accompagné et conseillé pendant les trois premiers mois d'exploitation. Depuis lors, il assure en toute autonomie l'exploitation de l'AEP sans aucune intervention extérieure. Après un an d'exploitation, les impacts positifs du projet sont manifestes : abandon de l'usage de l'eau des puits pour la boisson, augmentation rapide du nombre de branchements domiciliaires (déjà 25 familles disposent de robinets à domicile et s'acquittent régulièrement de leur facture mensuelle) et hausse de la consommation spécifique. Les branchements sont réalisés par un plombier local formé au Centre de Formation professionnel et de perfectionnement (CFPP) de Sélibaby.

Le taux d'accès à l'eau est désormais passé à 73 % en 2011 grâce à la réalisation des AEP de Melgué et de Baidiam, qui regroupent environ 50 % de la population communale. L'AEP de Baidiam a été réalisé dans le cadre de la coopération bilatérale - projet eau Guidimakha-Gorgol (PEGG) avec l'appui financier de l'AFD. D'autres initiatives sont en cours sur le territoire à travers les programmes Vaincre et Développement communautaire rural (PDRC) pour le surcreusement et la réalisation de nouveaux puits modernes dans les petites localités de moins de 1000 habitants. Le projet de Megué, mis en œuvre de manière participative avec une forte implication des migrants et des populations locales participe largement à cette évolution.


Le financement du projet AEP Melgué
Partenaires Montants Nature
GRDR 6 784 € Ressources humaines et logistiques
Migrants (ARMF) 15 000 € Fonds propres
Commune de Baidiam 3 030 € Subvention
Sedif 21 000 € Subvention
Populations locales (tranchées) 6 818 € Travaux physiques
Forim (Pra Osim) 14 310 € Subvention
Ville de Paris 51 620 € Subvention
TOTAL 118 562 €

Les temps forts du projet
Réalisations Période
Réalisation d'études hydrogéologiques et géophysiques pour les forages juillet 2009
Exécution et réception des forages avril-mai 2010
Réalisation des études topographiques et d'APD pour l'AEP juin 2010
Exécution des travaux de l'adduction d'eau potable décembre 2010-février 2011
Réception provisoire des travaux en présence du président de l'association des migrants février 2011
Inauguration avec les autorités administratives et communales avril 2011
Mise en place du comité de gestion et formation des membres février-avril 2011
Sensibilisation sur l'hygiène et l'assainissement mars 2010-mars 2011


Mamadou Hady Sow
GRDR (Kaedi)
Email:
hady.sow@grdr.org

Grdr - Kaédi - Mauritanie
Grdr - Montreuil - France
Grdr - Nouakchott - Mauritanie
 
 

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