Un projet d'approvisionnement en eau coordonné par Aquassistance

Laos: Un service pérenne d'alimentation en eau peu coûteux en énergie

L’un des réservoirs en construction. (© Jérome Assez - Aquassistance)

En 2005, l'ONG Action Contre la Faim, qui travaillait dans la région, alerte l'association Aquassistance sur les conditions d'accès à l'eau des populations de Muang Long, où jusqu'à récemment, les 2 500 habitants s'approvisionnaient aux rivières Don Yeng et Nam Kat, une eau de qualité variable et globalement médiocre. En collaboration avec les autorités locales, Aquassistance a alors coordonné les opérations de mise en place d'un service pérenne d'alimentation en eau peu coûteux en énergie.

La ville de Muang Long, qui se situe au nord du Laos à la frontière birmane, n'avait, jusqu'à la réalisation du projet, pour seule source d'approvisionnement en eau, que des eaux de surface dont la turbidité peut aller jusqu'à 50 NTU1 et dans lesquelles on trouve des coliformes fécaux à hauteur d'environ 100 colonies/100 ml en saison pluvieuse.
L'ONG Aquassistance a été sollicitée pour la mise en place d'un réseau d'approvisionnement en eau dans ce village. Objectif : un service pérenne capable de fournir 50 litres par jour et par habitant, soit au total 125 m3 par jour, c'est-à-dire 50 litres par habitant.

Créée en 1994, Aquassistance est une association loi 1901 qui in­tervient, à titre gracieux, dans les domaines de l'eau, de l'assainissement et de la gestion des déchets au service des populations défavorisées. Elle offre les com­pétences et l'expertise de salariés et retraités bé­névoles des groupes Suez Environnement et GDF Suez.
A l'issue de missions d'expertise préalables réalisées par Aquassistance auprès du district de Luang Namtha, trois axes principaux d'intervention ont été définis :
• la construction d'un système d'adduction composé de deux ou­vrages de captage de source sur les rivières de Don Yeng et Nam Kat et la réalisation de deux filières de traitement parallèles: coagulation/floculation sur filtre fermé et désinfection;
• la réalisation d'un réseau de distribution de 9 000 ml et de bran­chements privés;
• la mise en place d'une gestion pérenne des infrastructures.

La ville de Muang Long ne dispose pas de réseau d'électricité. Aussi, pour minimiser les coûts d'ex­ploitation du futur système d'alimentation en eau potable, et grâce à une situation géographi­que qui le permet, celui-ci a été pensé de fa­çon entièrement gravitaire, avec les contraintes hydrauliques qui en dé­coulent, comme la limitation drastique des pertes de charges singulières.

Deux systèmes en un, et l'energy free
Pourquoi deux systèmes de production d'eau potable pour alimen­ter le même réseau ? Ce choix est principalement motivé par le recouvrement des besoins actuels et à venir, et l'anticipation de toute éventuelle défaillance de l'un des deux systèmes. Chacun des deux systè­mes peut constituer une voie de secours provisoire sur lequel pour­rait reposer toute la production.
Une filière de traitement ajustable en fonction de la saison est privilégiée: le traitement de coagu­lation-floculation, réservé à la saison pluvieuse quand l'eau brute est la plus turbide.
Tout le système d'adduction et de distribution a été conçu en gravitaire pour le rendre energy free et ainsi minimiser les charges d'exploitation. Seules les pompes doseuses destinées à la potabilisation de l'eau sont finalement électriques mais peu énergivores. Il en résulte un système AEP à consommation énergétique quasi nulle qui donne accès à une eau de bonne qualité 24 h sur 24.

Une question restait en suspens : comment s'assurer du suivi de la qualité de l'eau distribuée ? La structure du Nampapa qui en a la responsabilité en a-t-elle les moyens matériels et humains ? En termes de ressources humaines, un technicien a été désigné par le Nampapa pour assurer l'exploitation du site de Muang Long.
Les moyens matériels étant limités, en accord avec le Nampapa provincial, Aquassistance a renforcé son laboratoire en équipements d'analyse microbiologique et physico-chimique. Il est prévu qu'un formateur du centre de formation du Nampapa national de Vientiane assure très prochainement une formation supplémentaire du personnel du Nampapa de Luang Namtha sur ce nouveau matériel d'analyse.
Par ailleurs, des indicateurs de suivi et de contrôle ont été élaborés en collaboration avec le Nampapa local. Aquassistance a déjà reçu deux rapports trimestriels en­courageants (qualité de l'eau, progression du nombre de nouveaux branchements, etc.).
Les résultats des analyses d'eau effectuées en juin 2010 par le laboratoire local et le laboratoire départemental de Côte-d'Or en France ont démontré que le système AEP est performant et que la filière de traitement délivre une eau de bonne qualité physico-chimique et bactériologique.

Le Nampapa Luang Namtha a été étroitement associé à toutes les étapes clefs du projet en tant que partie prenante active et décisionnaire dès la conception des ouvrages et jusqu'à leur construction et leur mise en route. Aquassistance a assuré une formation technique auprès du Nampapa pendant et après la mise en œuvre du projet. L'agent du Nampapa a suivi un briefing spécifique sur la mise en route, l'opération et la maintenance des installations de Muang Long.
Si dans un premier temps les pièces de rechange et les consommables, comme les joints et le mé­dia filtrant, ont déjà été approvisionnés pour six mois, voire un an, le Nampapa possède la liste des fournisseurs de la région et les procédures de commandes à sui­vre pour un renouvellement des stocks. Le Nampapa a même déjà exploité l'une de ces filières en achetant des pompes doseuses destinées à renforcer d'autres sites qu'il exploite.
La pérennité du projet repose également sur trois piliers d'ordre institutionnel élaborés au fur et à mesure du projet :
1) le projet est bien intégré au contexte institutionnel national et local,
2) l'accès au service a été facilité pour les fa­milles,
3) le prix de l'eau a été fixé pour assurer un compromis entre les capacités à payer des usagers, et la nécessité d'équilibrer le compte d'exploitation.

Le contexte institutionnel local n'a pas été très évident à comprendre (lire l'encadré page suivante) d'au­tant que le changement de statut administratif de Muang Long (passé de village à ville) a impliqué une nette modification du montage institutionnel et opérationnel du projet. L'interlocuteur initial clef était le district tandis que pour une ville, c'est la province qui est le maître d'ouvrage. Un an a été nécessaire pour identifier le maître d'ouvrage légitime et les différents acteurs institutionnels impliqués dans le projet, pour décortiquer leurs rôles, responsabilités et imbrication, et appréhender les modes de tarification aux niveaux national et local. Implanté localement, le Gret y a joué un rôle positif de catalyseur et facilitateur.

Au final, le projet s'avère bien intégré dans le contexte institutionnel local en termes d'acteurs et de service. Conformément au contexte local, les ouvrages ont été remis à la province de Luang Namtha en tant que maître d'ouvrage. Le service quant à lui, a été pris en charge par la société publique locale : le Nampapa Luang Namtha qui en a la responsabilité en tant qu'exploitant. Le Nampapa jouit déjà d'une expérience significative en matière de gestion de service de l'eau de mini-réseaux d'alimentation en eau potable et ce notamment sur Nalae, district voisin présentant des infrastructures d'eau et un paysage démographique et de consommation similaires. Différents documents formalisent les cadres institutionnel et technique solides du projet et du service associé, comme les attestations de réception d'ouvrages et le Memorandum of Un­der­standing (MoU) impliquant tous les acteurs, du district au Wasa (le gouvernement) en passant par la province et le Nampapa.

L'accès au service de l'eau pour tous
Le prix du branchement, dont le coût était initialement estimé à 100-150 $US par le Nampapa qui en assure la pose, a été considéré par Aquassistance et ses partenaires (dont le Sedif) comme l'obstacle majeur pour l'accès des familles au service. C'est pourquoi, des négociations ont été entreprises avec le Nampapa et le Wasa, et ont abouti à une révision favorable du prix du branchement à environ 65 $US par foyer en tenant compte du prix réel des matériels requis pour la prestation, et de la valorisation de l'apport des populations dans le projet (réalisation des tranchées) et de celui des partenaires.

Le contexte institutionnel lao pose un cadre et des jalons solides pour la tarification de l'eau. Selon les directives nationales, le prix de vente de l'eau, calculé par le Wasa et validé par le gouverneur provincial, prend en compte la couverture à minima des charges d'exploitation et de maintenance du réseau et la dépréciation des infrastructures (voir Tableau 1).

©Lettre du pS-Eau 66 de Jul 2011