retour imprimer © Lettre du pS-Eau 66 de Jul 2011

Des communes en affermage avec l'Onea

Burkina Faso: Le Pasep, un programme pour renforcer l'exercice de la maîtrise d'ouvrage communale


Visite par les élus de l'emplacement des équipements de Zorgho.(© Eau Vive)

Ciblant dix communes(1), le Projet d'amélioration du service de l'eau potable (Pasep) est une opération-pilote initiée conjointement par l'Onea(2), Eau Vive et le Ciedel(3), avec l'appui financier du Sedif, de Reims Métropole, de l'agence de l'eau Seine-Normandie et des communes burkinabé concernées. Il a pour finalité de renforcer les compétences nécessaires aux communes pour assumer les nouvelles responsabilités que la loi de décentralisation leur confère en matière de service public de l'eau et de l'assainissement.

Au Burkina Faso, dans le ca­dre du processus de déce­ntralisation, les communes ont la responsabilité du service public local de l'eau potable. Cette fonction, fixée par décret le 3 mars 2009, se traduit par :
– l'avis sur le schéma directeur d'approvisionnement en eau;
– l'élaboration et la mise en œuvre des plans locaux pour mobiliser, traiter et distribuer l'eau po­table;
– la participation à la production et à la distribution de l'eau po­ta­ble;
– la réalisation des infrastructu­res (puits, forages, bornes-fontaines, ré­seaux) ;
– la protection et la gestion des ressources en eau souterraine et de surface.

Le transfert de ces compétences au niveau communal n'a pas été accompagné du renforcement correspondant de capacités. Faute de formation adaptée et d'un accompagnement ad hoc pour la mise en pratique concrète de ces nouvelles compétences, les acteurs communaux n'étaient pas en mesure de prendre en main leurs nouvelles res­­ponsabilités.
D'une manière générale au Burkina Faso, l'exploitation du service d'eau est assurée par délégation à des opérateurs privés ou à des associations d'usagers pour les communes rurales, et par l'opérateur public (l'Office national de l'eau, Onea) pour les communes urbai­nes. Cependant, au niveau des com­­munes ur­baines, la délégation a été directement transférée de l'Etat à l'Onea, sauf dans les sept communes concernées par le Pasep(4).

Ces sept communes sont exceptionnellement propriétaires des infrastructures infras, réalisées dans le ca­dre de la coopération bila­térale (Taiwan) ou multilatérale (Union eu­ro­péenne pour les cas de Diébougou et Houndé). Ces communes avaient signé des contrats d'affermage avec l'Onea pour l'exploitation des infrastructures d'eau. Mais les élus n'étant pas en mesure d'assumer la maîtrise d'ouvrage des services, l'Onea a dû jouer deux rôles en même temps : celui d'opérateur et celui de maître d'ouvrage. Dans les situations de mauvais fonctionnement ou de faible performance des réseaux, les responsables communaux ne savaient pas qu'ils étaient en de­voir d'interroger le dé­légataire et de demander une meilleure qualité de service.
Parallèlement, l'Onea souhaitait également renforcer ses propres capacités de formation des acteurs du service public local de l'eau et capitaliser l'expérience de la gestion en affermage.
Le Pasep est né pour répondre à ces besoins, avec l'appui d'Eau Vive et du Ciedel, qui ont apporté leur expertise dans les domaines de l'eau, du développement local et du renforcement des capacités.
Le Pasep vise à relever le seuil de viabilité technique et financière les réseaux d'eau communaux, et à assurer leur viabilité institutionnelle dans la durée par le renforcement des capacités de maîtrise d'ouvrage communale. L'expérience a intègré au projet deux communes ru­rales, Lâ-toden et Bagaré. La commune de Boussé, qui n'a pas de réseau AEP, a aussi été retenue pour expérimenter le processus sur une base de départ où rien n'existait.

La première étape du projet consistait à permettre aux élus de mieux connaître les équipements et leur fonctionnement et, en conséquence, de mieux comprendre leur rôle et leurs responsabilités en ma­tière de service public, ainsi que l'explique Adrienne Ramde, d'Eau Vive. « La première étape était de faire découvrir aux élus leur infrastructure. Ceci pouvait se faire en salle, mais on a préféré amener le maire, les élus et les techniciens sur le terrain pour faire le tour des installations. De retour en salle, ils ont schématisé leur système, ma­térialisé l'emplacement des tuyaux, de la source d'énergie, du château d'eau. Ceci les a vraiment aidés à comprendre et à s'approprier le réseau d'AEP.»
Des formations ont été ensuite dispensées aux élus et aux mem­bres des commissions communales de l'eau. Le cursus a porté sur les textes législatifs et réglementaires, les principes du service public de l'eau potable, les types d'é­quipements hydrauliques et leur fonctionnement, les différents mo­des de gestion du service public de l'eau potable, son organisation, et le rôle de chaque acteur. A l'issue de ces formations, les élus ont été en mesure d'identifier les actions prioritaires à mener dans leur commune.
Pour améliorer la gouvernance locale du service de l'eau, un cadre de concertation multi-acteurs, une commission communale de l'eau (CCE), a été créée dans chaque commune. Constituées des acteurs concernés par le service de l'eau (conseillers communaux, services techniques en charge de l'eau, personnes ressources au niveau de la commune, professionnels locaux, représentants des usagers), les CCE jouent un rôle de conseil auprès de la municipalité sur la définition de stratégies et d'actions ainsi que sur la prise de décision et le suivi de la mise en œuvre.

Des élus désormais mieux armés s'impliquent
Plus concrètement, les CCE, qui ont suivi les études préparatoires à l'extension des réseaux d'adduction d'eau potable, proposent des options d'extension au conseil municipal. Ceci permet de mieux pren­dre en compte les besoins de toutes les couches de la population, y compris les plus démunies. A Gayeri, la CCE a dû batailler fort pour que soit tout d'abord réalisée l'extension du réseau (avec une borne-fontaine) au camp peulh, en zone non lotie de la ville.
Lors de la révision des contrats d'affermage avec l'Onea, les CCE ont aussi identifié les besoins des communes qui n'avaient pas été pris en compte. C'est le cas de Houn­dé, où le CCE a inclus dans le périmètre affermé les parties non loties des secteurs 1 (Karaba) et 5.
Les CCE ont cependant dû surmonter quelques difficultés. Pour l'a­nimation par exemple, ils ont dû communiquer en deux langues (le français et la langue locale) car ceci était essentiel pour que tous comprennent les enjeux et s'impliquent dans la définition des orientations. Le man­que de ressources communales pour assurer un fonctionnement régulier est un autre problème qui reste à résoudre.

Une fois la prise de conscience effective et la concertation locale établie, le projet a aidé les acteurs à identifier des actions susceptibles d'améliorer le service de l'eau en termes de desserte des populations, de sécurisation de l'approvisionnement et d'équilibre financier. Ainsi, avec l'appui du Pasep, des études et des travaux ont pu être commandités et réalisés : 60 000 m linéai­res de con­duites de distribution ont été po­sées, 35 nouvelles bornes-fontaines construites et plus de 1000 branchements particuliers réalisés. Ces réalisations ont permis à plus de 20 000 personnes supplémentaires d'avoir accès à l'eau potable.
La réalisation des travaux a été une occasion pour les communes d'utiliser leurs fonds d'investissement constitués à partir des dotations aux amortissements et du ré­sultat net d'exploitation. Ainsi, les communes burkinabè ont cofinancé leurs travaux sur ces ressources propres à hauteur de 40%, le Pasep apportant les 60 % complémentaires.

Par un travail d'information et de formation, les élus qui ne posaient aucune question lors de la présentation du compte rendu technique et financier par l'Onea sont aujourd'hui outillés au point de faire durer les débats plus longtemps que l'exposé prévu par l'Onea. Les questions tournent essentiellement autour du patrimoine, des charges, des pro­­duits, des impayés, ou des incidents survenus sur le réseau au cours de l'exercice.
Dans le cadre du Pasep, la mise en place de services techni­ques municipaux est en cours de réflexion.

Le renouvellement des contrats d'affermage: temps fort du projet
Un des temps forts du projet était le renouvellement des contrats d'affermage. C'était l'occasion pour les communes de jeter un regard rétrospectif sur la mise en œuvre du premier contrat.
En tant que responsable des services locaux d'eau potable, la commune signe un contrat d'exploitation avec un opérateur. Les communes ont signé les premiers contrats élaborés par le fermier (Onea), sans amendements ni observations. Au cours de la mise en œuvre du Pasep, ces contrats d'affermage arrivaient à terme, offrant l'opportunité d'appuyer les communes pour pleinement jouer leur rôle de maître d'ouvrage.

Des juristes spécialisés on apporté leur aide aux élus et aux CCE pour leur permettre de mieux comprendre les clauses du contrat d'affermage et renégocier certaines conditions selon les priorités et orientations stratégiques définies par la commune. D'une façon générale, le renouvellement des contrats d'affermage s'est déroulé dans un esprit gagnant-gagnant. Dans le cas d'équipements complexes, avec un niveau de service élevé, les six communes ont souhaité poursuivre l'apprentissage de la maitrise d'ouvrage du service de l'eau potable en partenariat avec l'opérateur public, ceci en attendant que les opérateurs privés fassent leurs preuves dans le domaine de la gestion des systèmes simplifiés.
De son côté, l'Onea a la volonté d'encadrer le développement progressif du partenariat public-privé en matière de gestion des services d'eau potable. Les maires (en tant que maître d'ouvrage) ont décidé de renouveler leur contrat avec l'Onea, suite à l'analyse de la mise en œuvre du premier contrat et à la lumière de leurs nouvelles connaissances sur les différents modes de gestion. Ces nouveaux contrats sont le produit d'une véritable négociation entre les communes et l'Onea.

Les communes ont établi un état des lieux de la situation des investissements (forage, équipement d'exhaure, canalisations, réservoirs…) et ont élaboré, avec l'Onea, un compte d'exploitation prévisionnel pour 5 ans de chacun des réseaux. Toutes les charges du fermier sont intégrées dans le compte d'exploitation, l'accord étant que l'Onea ne cherche pas à faire un bénéfice mais à recouvrer simplement ses charges réelles, et que l'ensemble des résultats de l'exploitation du réseau soient affectés à son amélioration.
Enfin, d'un commun accord en­tre les maires et l'Onea, est prévu le versement d'un montant de 5 % du chiffres d'affaires du réseau à la commune pour qu'elle puisse exercer sa capacité de maîtrise d'ouvrage communale (directement par le recours à ses services techniques ou indirectement par la sous-traitance à des bureaux d'études…).


Une expérience à reproduire dans d'autres communes
Le Pasep prendra fin en décembre 2011. Il aura été riche d'enseignements et d'expériences, lesquelles ont déjà attiré l'attention d'autres partenaires sur le terrain (notamment la coopération allemande et SOS Sahel) qui ont sollicité Eau Vive et l'Onea pour un appui portant sur le renforcement des capacités des élus des communes concernées par leurs pro­pres programmes. Eau Vive continue à progresser sur ces expérien­ces dans le but d'appuyer les communes du Burkina Faso à développer des services d'eau pertinents, efficaces et pérennes.

Les cursus et modules de formations issus du projet seront mis à disposition de l'Onea pour servir de modèle d'étude dans leur centre de formation aux métiers de l'eau (CEMEAU) et au renforcement des capacités de gestion des services locaux de l'eau au niveau national.
Le Pasep a permis à Eau Vive de consolider son expérience en matière d'assistance à la maîtrise d'ouvrage du service public de l'eau et aux communes de comprendre les enjeux de la décentralisation et les rôles et responsabilités que les élus sont amenés à jouer dans ce nouveau contexte.
Il est certain que les réseaux de certaines communes, qui n'ont pas encore atteint leur point d'équilibre (Gayeri en particulier), demanderaient à être renforcés. Cependant, le Pasep a démontré l'intérêt de renforcer et d'étendre cette appro­che, qui répond clairement aux pré­­occupations des élus et suscite un intérêt auprès d'autres communes du Burkina Faso.

Désormais, il s'agit de consolider le travail réalisé au niveau des 10 communes et de procéder à l'élargissement de la zone de couverture par l'intégration au projet des communes rurales d'une même zone géographique et signataires d'un contrat d'affermage avec un même opérateur privé (en l'occurrence l'entreprise PPI dans la province du Passoré). A cette fin, une deuxième phase du Pasep est en cours d'élaboration en vue de consolider les acquis de la première phase et de développer cette approche en milieu rural.
Cette seconde phase comprendra six autres communes rurales de la province du Passoré, permettant ainsi d'accumuler une expérience de terrain supplémentaire et de produire les modules nécessaires pour la formation des acteurs des quasi 300 communes rurales du Burkina Faso.


1 Diapaga, Gayéri, Zorgho, Bittou, Toma, Diébougou, Houndé, Boussé, Lâ-Toden, Bagaré
2 Office national de l'eau et de l'assainissement
3 Centre international d'études pour le développement local
4 Diapaga, Gayéri, Zorgho, Bittou, Diébougou, Houndé, Toma.


Firmin Hilaire Dongobada
Eau Vive (Burkina Faso)
Email:
hfdongobada@eau-vive.org

Laurence Tessier
Eau Vive (France)
Email: laurence.teissier@eau-vive.org
Site internet: www.eau-vive.org

Christophe Mestre
Ciedel
Email: cmestre@univ-catholyon.fr
Site internet: www.ciedel.org

CIEDEL - Lyon - France
Eau Vive - Ouagadougou - Burkina Faso
Eau Vive France - La Celle-Saint-Cloud - France
ONEA - Ouagadougou - Burkina Faso
 

« Au bout de trois ans d’accompagnement, les élus se sont approprié les installations, ils assument leurs responsabilités par rapport au contrat d’affermage, à la coordination des acteurs et aux usagers…
Ils assurent une réelle maîtrise d’ouvrage du service d’eau dans leurs communes.» Adrienne Ramdé, Eau Vive. (© Eau Vive)

Les élus et les CCE ont su renégocier certaines conditions des contrats d’affermage selon les priorités et orientations stratégiques définies par la commune. (© Eau Vive)
 

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