retour imprimer © Lettre du pS-Eau 64 de Dec 2010

Eau et ingénierie sociale

Madagascar: La gestion des impluviums : un levier pour le changement social ?


Impluvium construit par Objectif Sud à Ankiliabo. De la surface de récupération, l'eau de pluie s'écoule vers un bassin désableur (au centre de l'image) puis vers 3 bassins de stockage (au premier plan) (@ Gret)

Entre 2005 et 2007, une trentaine d'impluviums, qui collectent et stockent les eaux de pluie, ont été réalisés
par le Gret dans la région Androy, au sud de Madagascar, dans le cadre du projet Objectif Sud. Celui-ci a mis l'accent sur le changement social qui accompagnait la mise en service des nouveaux équipements. Plus d'un an après le départ du Gret, comment les populations se sont-elles appropriées la gestion des impluviums ?

L'extrême Sud de Madagascar, et en particulier le sud de la région de l'Androy, souffre d'une disponibilité insuffisante des ressources en eau. Les Tandroy (habitants de la région), et principalement les femmes, consacrent une part considérable de leur temps et de leur énergie à parcourir des kilomètres pour rejoindre une rivière ou un puits et se procurer de faibles quantités d'eau pour satisfaire les besoins de leurs ménages. La plupart du temps, l'eau est payante et une part importante du budget des ménages y est consacrée.

En saison sèche, le prix d'un seau d'eau de 15 litres peut atteindre 30 centimes d'euros, et dans les zones plus difficiles d'accès, un individu ne dispose en moyenne que de 3 à 6 litres d'eau par jour pour couvrir l'ensemble de ses besoins (alimentation, eau de boisson, toilette, etc.). La moindre goutte est un bien précieux, comme en témoignent les nombreux mo­yens déployés pour récupérer et utiliser les eaux de pluie, y compris les eaux de flaque.
Les impluviums sont des aménagements plus ou moins sophistiqués qui consistent à collecter de l'eau de pluie sur une surface plane, inclinée vers un bassin de stockage. On en compte plus de 200 dans le sud de l'Androy. Il existe de nombreux impluviums artisanaux construits par les habitants eux-mêmes. Depuis les années 70, l'Etat malgache, la coopération japonaise et différentes organisations internationales ont également construit dans la zone de nombreux impluviums en béton.

La construction et la réhabilitation d'impluviums faisait partie des activités du projet Objectif Sud, mis en œuvre par le Gret entre 2003 et 2006. Ce projet a concerné 19 communes de l'extrême Sud de Madagascar, au sud-ouest de la région Anosy et au sud de la région Androy. Il s'agissait d'un projet intégré financé par l'Union européenne. Son but : lutter contre l'insécurité alimentaire, un mal structurel et pérenne dans cette zone.
Le projet comportait différents axes tels que la recherche de variétés et de techniques de culture adaptées, l'appui aux acteurs économiques par le biais de services de microfinance et d'un appui aux filières, ainsi que le renforcement des capacités des acteurs locaux à réaliser des infrastructures contribuant à la lutte con­tre l'insécurité alimentaire.

Une forte demande des populations
Ce dernier axe avait pour objectif de favoriser l'articulation entre les acteurs (en particulier les communes, les groupes de villageois ainsi que les entrepreneurs locaux) dans le but de créer une dynamique de développement local. Des concertations réalisées au niveau des communes avec les représentants des villages et les équipes communales est ressortie une forte demande en matière de construction d'impluviums. Entre 2005 et 2007, une trentaine d'impluviums ont ainsi été construits ou réhabilités par le Gret.
A travers la mise en place d'impluviums, l'équipe du Gret souhaitait atteindre des objectifs multiples. Assurer la sécurité alimentaire suppose une amélioration de l'accès à l'eau. Faciliter l'accès à l'eau c'est en effet contribuer à satisfaire les besoins en eau de boisson, en eau nécessaire à la cuisson des aliments ainsi qu'à dégager du temps pour la pratique de l'agriculture. Travailler sur l'accès à l'eau et à sa gestion ouvrait également une porte sur la question du genre et plus généralement du changement social.

La société tandroy est fortement hiérarchisée. Les affaires collecti­ves sont gérées par des hommes âgés issus de lignages dominants. Le droit d'expression et le pouvoir de décision des femmes sont réservés à l'espace privé du foyer. Ce­pendant, l'approvisionnement quotidien en eau étant principalement de leur ressort, l'équipe du Gret s'est appuyée sur cette réalité de base pour encourager la participation des femmes à la gestion collective des impluviums.
L'examen des conditions d'accès à l'eau des habitants des différents fokontany1 de la zone d'intervention du projet, ainsi que les concertations au niveau des communes, ont permis de sélectionner les bénéficiaires de la construction ou de la réhabilitation d'un impluvium.
Des débats ont ensuite été animés dans les différents fokontany identifiés afin de :
– préciser la démarche, et no­tamment le principe d'une participation des habitants bénéficiaires au financement de la construction de l'infrastructure (3 % du coût total de l'infrastructure en numéraire ou en travail valorisé2 ) ;
– estimer l'intérêt et l'appréhension des habitants vis-à-vis de la construction de l'infrastructure ;
– identifier un emplacement faisant consensus parmi les habitants du village.

D'un point de vue technique, la construction d'un impluvium im­pli­que le respect de certaines conditions pédologiques et d'inclinaison du terrain. Du point de vue social, il était ici préférable de l'installer sur un terrain collectif. Cela n'a pas toujours été possible car il en subsiste peu dans les villages. Dans ce cas, un habitant a cédé gratuitement l'un de ses terrains à la collectivité en s'engageant publiquement à ne pas en revendiquer ensuite la propriété pour influer sur la distribution de l'eau et la gestion de l'impluvium. Il s'est agi, dans la plupart des cas, d'un homme plutôt âgé, aisé et dont la cession d'un terrain ne créait pas, pour lui, un manque à gagner en termes de production agricole.

Un comité de gestion par impluvium
L'équipe du Gret a proposé l'instauration d'un comité pour chaque impluvium, composé de 5 personnes issues du fokontany et ayant pour rôle d'assurer le fonctionnement et la gestion de l'impluvium. Dans chaque fokontany, l'ensemble des ménages ayant contribué au financement des travaux a été encouragé à créer une association des usagers à vocation de contrôle du comité. Les rôles du comité ont été définis comme suit :
– proposer une quantité de seaux d'eau par foyer aux mem­bres de l'association réunis en assemblée générale ;
– décider quand et combien d'eau acheter auprès de l'Agence pour l'alimentation en eau du Sud (AES)3 et proposer cette décision aux membres de l'association lors d'une assemblée générale ;
– veiller au bon état de l'infrastructure ;
– gérer les conflits entre les membres de l'association et entre les utilisateurs ;
– informer régulièrement les membres de l'association de tout aspect lié à l'infrastructure ;
– garantir la participation des femmes à tout moment ;
– veiller à la collecte et à la bonne utilisation des recettes.

Les membres des comités de gestion ont été choisis par les habitants des villages. L'intégration de femmes au sein des comités a cependant été fortement encouragée à travers de nombreuses séances d'animation, en s'inspirant de la Méthode accélérée de re­cherche participative (MARP).
Les membres des comités ont bénéficié de formation en gestion financière, en maintenance des infrastructures, aux règles d'hygiène de l'eau, etc.

Mesurer l'impact de la démarche "genre"
Un peu plus d'une année après la fin de l'accompagnement des comités de gestion par le Gret, une jeune anthropologue française, assistée d'un animateur tandroy, a mené une étude sur la gestion des impluviums. Leurs travaux ont été guidés par les questions suivantes : comment la gestion est-elle réalisée, par qui est-elle maîtrisée, se­lon quelles règles, édictées par qui et dans le cadre de quels rapports de pouvoir ? Ces questions renvoient à celle de la pérennité des infrastructures et aux effets de l'approche genre sur le rôle des femmes dans la gestion des impluviums.

L'étude a été réalisée sur une période de six mois dans une vingtaine de fokontany. Cinq sites ont été analysés de manière approfondie. La méthodologie suivie a con­sisté en des temps d'observation, d'échanges informels et d'entretiens semi-directifs réalisés dans le cadre d'un séjour de deux semaines dans chaque village.
L'étude a suivi quatre axes de réflexion :
– l'insertion de l'impluvium dans son environnement sociopolitique ;
– le fonctionnement de l'impluvium et les pratiques de distribution de l'eau ;
– le service de fourniture de l'eau et la satisfaction des usagers ;
– la composition et le fonctionnement du comité de gestion.

Le document de capitalisation s'organise en trois parties. La première présente le contexte et la stratégie du Gret en matière d'accès à l'eau et de promotion du changement social. La seconde fournit une analyse détaillée des modalités de gestion des impluviums dans les villages.
Sur la base des constats formulés, la dernière partie tente de tirer les leçons de l'expérience :
• les impluviums permettent un accès à une eau de proximité et offrent une solution de stockage de l'eau mais ne contribuent pas à augmenter la quantité d'eau con­sommée par les ménages ;
• les rapports sociaux, ancrés dans les relations complexes entre lignages, déterminent toujours la gestion des impluviums ;
• des relations conflictuelles éloignent parfois certains groupes de l'accès à l'eau ;
• les comités de gestion sont bien composés de femmes et de jeunes mais les décisions importantes telles que l'utilisation des fonds issus de la vente de l'eau demeurent réservées aux notables, ce qui limite la transparence de la gestion ;
• cependant, les rôles fonctionnels (vente de l'eau, tenue des comptes, entretien de l'impluvium) sont assurés par les membres des comités de gestion. Les notables délèguent volontiers à des personnes plus compétences qu'eux, ce qui montre qu'il existe, par ce biais, des leviers au changement social. l

Pour aller plus loin
Laetitia Morlat, 2009, La gestion des impluviums en Androy (Madagascar), un levier pour le changement social ? GRET, Etudes et travaux en ligne n° 24. Document téléchargeable sur le site du Gret : www.gret.org/ressource/pdf/09146.pdf


1 Plus petite entité administrative à Madagascar. Peut se traduire par quartier en milieu urbain et par village en milieu rural.
2 Au moment de la mise en œuvre du projet, le coût d'un impluvium s'élevait à environ 16 000 euros.
3 Opérateur public de l'eau dans les centres urbains du sud de Madagascar


Thierry Rabarijaona
GRET Madagascar
Email:
rabarijaona@gret.org

Laetitia Morlat
GRET Madagascar
Email: morlat@gret.org

GRET - Antananarivo - Madagascar
GRET - Nogent sur Marne - France
 
 

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