retour imprimer © Lettre du pS-Eau 62 de Jun 2010

Gestion de l'eau au Burkina Faso

La Fédération des usagers de l'eau de la région de Bobo-Dioulasso: Pour une gestion partagée de l'eau entre associations d'usagers

Dans le cadre de programmes consécutifs de coopération dans les régions des Hauts-Bassins et des Cascades depuis 1994, de nombreux ouvrages d'alimentation en eau potable simplifié (AEPS) ont été construits dans près de quarante centres secondaires. La modalité de gestion communautaire dite «partagée» s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui. Après dix ans d'expérience, bilan de ce dispos­­itif qui doit s'adapter au nouveau contexte de la communalisation.

La problématique de gestion des ouvrages d'hydraulique en milieu rural et semi-rural est prégnante au Burkina Faso, pays rural à 80 %. Le taux de desserte en eau potable dans les zones rurales, qualifié de "raisonnable" au sens défini par l'OMS/Unicef, était estimé en 2005 à 60 %. Ce taux d'accès relativement élevé masque de grandes disparités spatiales, entre les régions et entre les villages. De même, les consommations spécifiques demeurent très éloignées de l'objectif de 20 litres par jour et par personne.

­­Si, en milieu rural, la gestion communautaire parvient à maintenir les ouvrages dans un état relativement fonctionnel, en revanche dans les petits centres (de 2 500 à 10 000 habitants), confrontés à une croissance urbaine de 2,8 % et à une diversification des activités économiques, la gestion des infrastructures se pose avec plus d'acuité. Même si la densité de ces localités est plus forte, les distances à parcourir restent importantes et les systèmes d'adduction apparaissent bien plus complexes (réseaux équipés de deux à quatre bornes-fontaines, raccordements domiciliaires plus nombreux, etc.). Afin de pérenniser ces ouvrages, aux investissements et coûts d'exploitation plus importants, les modalités de gestion et de maintenance sont cruciales.

Un contrat de concession entre l'administration et les AUE
Face à ces constats, le gouvernement burkinabé et ses partenaires techniques et financiers se sont engagés dans une vaste réforme institutionnelle, assortie d'outils spécifiques de planification et de méthodologie appropriés aux mi-lieux ruraux et urbains. L'adoption en décembre 2006 d'un Programme national en matière d'approvisionnement en eau potable et en assainissement (PN-AEPA), à l'horizon 2015, s'inscrit dans cette dynamique. De nouvelles orientations ont été actées, s'inscrivant dans le processus de décentralisation et de planification du territoire, entamé en 2004. En mars 2009, un décret transfère la propriété des infrastructures d'eau et d'assainissement aux communes et leur en confère la maîtrise d'ouvrage. Les modalités de gestion varient selon les situations. Pour les chefs-lieux des communes urbaines, l'ONEA, entreprise publique, est chargée de gérer l'exploitation des réseaux.

Pour les communes rurales, le Programme d'application de la réforme (PAR), financé par l'AFD, préconise que les communes délèguent aux associations d'usagers de l'eau (AUE) la gestion des forages équipés de pompe à motricité humaine. Dans les petits centres intermédiaires, selon les dispositions du décret la gestion de transfert peut être confiée à travers des contrats d'affermage ou d'exploitation à des entreprises privées ou aux AUE.
Dans le cadre des programmes RESO puis VREO1, de nombreux ouvrages d'alimentation en eau potable simplifiés ont été construits dans près de 40 centres secondaires des régions des Hauts-Bassins et des Cascades. Ces deux régions situées au sud-ouest du pays représentent 13 % de la population burkinabè (1600 000 habitants) dont le tiers à Bobo-Dioulasso. Dans ces deux régions, le taux de desserte en eau en milieu rural figure parmi les plus faibles du pays, estimé respectivement à 48,7 % et à 53,1 % (PNAEPA, 2006).

Le dispositif repose sur la création d'associations d'usagers de l'eau (AUE), et de leur regroupement au sein d'une fédération régionale des usagers de l'eau : la Fauereb (Fédération des usagers de l'eau de la région de Bobo-Dioulasso). Un contrat de concession officialise les relations entre l'administration régionale en charge de l'hydraulique et chacune des 40 AUE.
Structure faîtière des AUE, la Fauereb est chargée de la définition des plans d'action, de la fixation du prix de l'eau, et du regroupement des capacités d'autofinancement des AUE membres sous la forme d'une mutuelle.
L'Association pour le développement des adductions d'eau (ADAE), constituée à la fin du programme RESO (1993-1999), a par­ticipé à la mise en place de ce dispositif de gestion. Elle a ainsi accompagné la création des AUE, formé les chefs de centre et les fontainiers et créé un centre de gestion (CDG) unique, rendant annuellement des comptes à la Fauereb et à l'administration.

La gestion mutualisée appelle un nouveau schéma organisationnel
Le dispositif repose sur un tarif unique de l'eau, de 500 Fcfa le m3, décomposé théoriquement comme suit : 60 Fcfa pour le fontainier, 50 pour le chef de centre, 15 pour l'AUE, 75 pour les frais d'exploitation, 60 pour le CDG, 100 de provision pour le fonds de maintenance, 100 de provision pour le fonds de renouvellement et 40 de provision pour le fonds d'investissement. La gestion est ainsi mutualisée entre les centres. La comptabilité séparée de chaque centre permet de suivre l'activité de chacun mais aussi de maintenir un équilibre financier entre les centres.

Le CDG a non seulement un rôle de gestionnaire (répartition des différentes parts, tenue des comptes et établissement de bilans, gestion des fonds de renouvellement et d'investissement) mais également un rôle d'appui conseil à la quarantaine d'AUE membres et de contrôle de l'exécution d'autres contrats (contrat de maintenance). Il centralise les données techniques et financières des réseaux et permet une péréquation entre les différents centres. On constate d'ailleurs que 20 % des centres les plus dynamiques permettent de financer la maintenance et l'exploitation des 80 % restants (Gret, 2009).

En effet, chaque petit centre ne couvre pas forcément ses propres charges sur la vente de l'eau, en raison, d'une part, de la concurrence de sources alternatives d'eau potable ou non et d'autre part, des faibles densités de populations. En outre, la proximité des structures de gestion et le pouvoir des usagers permettent une maîtrise d'œuvre locale adaptée aux contextes ruraux. D'ailleurs, le taux de recouvrement est estimé à 92 % en moyenne entre 2000 et 2008. Formés par l'ADAE et accompagnés par le CDG, les chefs de centre et fontainiers désignés par l'AUE sont en effet responsabilisés dans le recouvrement des recettes. La régularité de fonctionnement du service a de même permis d'augmenter, de façon faible mais indéniable, les consommations unitaires. Enfin, une base de données actualisée par l'ADAE a été constituée à partir des données des réseaux, permettant ainsi de piloter le dispositif, de suivre les consommations, d'établir des comptes d'exploitation et de définir les plans d'actions du dispositif. Cette fonction de suivi-évaluation apparaît primordiale car elle permet à la Fauereb de maîtriser l'information et d'orienter ainsi les investissements.

Certes, l'équilibre financier, précaire, n'alimente pas de façon con­séquente le fonds d'investissement et ne couvre pas l'intégrité des charges du CDG, mais le modèle gagnerait à être optimisé car il constitue sans nul doute un exemple de dispositif pérenne de gestion, adapté aux contextes semi-ruraux. L'augmentation des volumes consommés est également une variable déterminante, qui réside dans le changement des comportements et des pratiques des populations (multiplication des branchements privés, généralisation des usages de l'eau potable, professionnalisation des réseaux et rationalisation de la gestion commerciale des usagers…).

Dans le contexte de décentralisation, comment faire évoluer ce schéma de gestion vers un schéma de maîtrise d'ouvrage commu­nale ? Quels défis cela pose-t-il en termes de gouvernance, de modèle économique et d'organisation du dispositif ?

Le passage à une maîtrise d'ouvrage communale implique une transition vers un nouveau schéma organisationnel. La commune con­trac­tualise directement avec les acteurs impliqués dans le service de l'eau, tant avec les AUE qu'avec les opérateurs de maintenance, le CDG et la Fauereb. Les signataires du contrat dépendront du mode de gestion opté par la commune. Ce processus de con­trac­tualisation mène non seulement à une renégociation du tarif de l'eau et des transferts financiers vers la commune mais aussi à la mise en place d'un mécanisme de contrôle et de suivi du service par la commune (et donc des ressources humaines compétentes et des moyens financiers).
Ce schéma implique de redéfinir les fonctions de chacun des acteurs dans le dispositif : assistance à la gestion, appui-conseil, rôle de planification stratégique, maîtrise d'œu­vre… La maîtrise d'ouvrage communale survient dans un espace public local où de nombreux acteurs comme des organisations de la société civile, le secteur privé commercial formel ou informel, les services déconcentrés de l'Etat et l'ONEA ont accumulé des savoir-faire multiformes. Dans un tel contexte, il s'agit d'appuyer le dynamisme et l'initiative des populations et des opérateurs des services d'AEPHA à travers des partenariats adaptés et moteurs.


Un cadre partenarial pour une “intercommunalité sectorielle”
Dotées de cette nouvelle compétence mais dépourvues de moyens techniques et financiers, les communes ont fort à faire pour assumer cette fonction de maîtrise d'ouvrage, assurer le contrôle et la régulation des contrats qu'elles signent. Elles ne perçoivent parfois pas non plus la réalité des frais que la gestion des réseaux implique. Afin de préserver le mode de gestion partagée, qui semble approprié, il faut que les acteurs se repositionnent à une échelle communale et intercommunale.

Ceci implique donc des changements en termes de suivi de gestion (inadéquation avec le territoire pour l'instant) et de positionnement (le CDG et la Fauereb sont dans un rôle d'appui à la maîtrise d'ouvrage). La création de cet échelon intercommunal de concertation se doit d'être formalisé dans un cadre approuvé non seulement par les communes (approbation en conseil municipal) mais également par le ministère de tutelle afin de parvenir à un schéma institutionnel cohérent.

Cette orientation vers une «intercommunalité sectorielle», si elle n'existe pas dans la législation, apparaît comme une innovation. Dans les régions des Hauts-Bassins et des Cascades, il s'agirait d'un cadre de coopération entre communes et d'autres personnes mo­rales, fondé sur les dispositions relatives du code général des collectivités territoriales, ouvert, flexible et évolutif, qui accompagnerait les communes dans leur rôle de maîtrise d'ouvrage. Sur proposition de la Fauereb et de l'ADAE, un atelier a ainsi eu lieu le 30 juin 2009 avec les élus des 49 communes disposant d'AEPS pour définir les grandes lignes de ce que pourrait être ce « cadre partenarial » (Cadre partenarial en eau potable et assainissement).

La mise en place d'une commission ad'hoc composée de six maires et de l'ADAE a été chargée de préparer les orientations du cadre partenarial, du règlement intérieur et d'une charte de l'eau. La souplesse du cadre doit permettre aux communes de choisir les modalités de gestion qui leur conviennent et de s'approprier petit à petit leur rôle de maîtrise d'ouvrage. La transparence du processus et des efforts accrus de pédagogie et d'explication auprès des acteurs communaux garantissent l'adhésion éclairée des communes et faciliteront la transition vers le nouveau schéma institutionnel.
Parce qu'il apparaît relativement bien adapté aux contextes semi-ruraux des petits centres, le dispositif de gestion communautaire partagée mérite d'être maintenu et adapté au nouveau contexte institutionnel. Cette adaptation, qui suppose le renforcement de la maîtrise d'ouvrage communale et la planification à l'échelle du territoire, loin d'annihiler le dispositif, peut et doit être une opportunité de le dynamiser et de l'encadrer pour le mettre d'autant plus au service des populations. Afin de mener à bien la transition institutionnelle, il est important de créer un cadre de coconstruction des modalités de gestion afin de clarifier les rôles et les responsabilités des différents acteurs impliqués et de se mettre d'accord sur la structure tarifaire du prix de l'eau. Ce cadre de concertation aurait pour avantage de s'inscrire dans une certaine continuité et de diminuer les risques liés aux transitions institutionnelles.


Alicia Tsitsikalis - Jacques Monvois
Gret
Email:
monvois@gret.org

Drissa Coulibaly
Faureb
Email: adaebobo@fasonet.bf

Daouda Sanon
Adae
Email: davidaou@hotmail.com

ADAE - Bobo-Dioulasso - Burkina Faso
GRET - Nogent sur Marne - France
GRET - Ouagadougou - Burkina Faso
 

Avant l'ouverture de la borne-fontaine à Koroko.
La proximité des structures de gestion et le pouvoir des usagers permettent une maîtrise d'oeuvre locale adaptée aux contextes ruraux. Sur la période 2000-2008, le taux de recouvrement est estimé à 92 % en moyenne.
 

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