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L'eau sera-t-elle potable pour tous ?


article de presse Mar 2007
Aut. Stéphane Ballong
Ed. Le Monde - Paris
Téléchargeable chez l'éditeur
Article:
L'eau sera-t-elle potable pour tous ?

Chaque minute, 15 personnes meurent dans le monde faute d'avoir accès à une eau saine. Plus de 1 milliard de personnes en sont privées, et, selon les Nations unies, ce chiffre pourrait tripler d'ici vingt ans si rien n'est fait.

Dans ses projets pour le millénaire, l'organisation internationale s'est fixé comme objectif, d'ici à 2015, de "réduire de moitié la proportion des personnes n'ayant pas accès à une eau potable". Mais, depuis cette annonce, faite il y a six ans, pas grand-chose ne semble s'être passé, selon le rapport 2006 sur le développement humain édité par cette même institution. Pourtant, en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, des solutions innovantes sont expérimentées afin de traiter l'eau des populations rurales, trop éloignées des réseaux des grandes villes. Des prototypes qui, faute de relais financiers, peinent désormais à passer l'étape d'une production à grande échelle.
"PAS L'HABITUDE DE PAYER L'EAU"



Dans le petit village de Panjkosi (4 500 habitants), en Inde, un purificateur solaire d'eau, dénommé Naïade, vient d'être testé depuis plus d'un an. La machine, d'environ 1,5 m de haut, est constituée d'une citerne reliée à un panneau solaire. A l'intérieur, deux filtres éliminent mécaniquement les particules en suspension. Puis une ampoule à ultraviolet (UV) alimentée par le panneau purifie l'eau des bactéries, virus et autres microbes. Mise au point par la société néerlandaise Nedap, la technique a été évaluée par l'université turque de Marmara, à Istanbul, qui "la juge efficace à 99 %", explique Paul de Reus, de la société néerlandaise. Lorsque la météo n'est pas favorable, une batterie de voiture placée à l'intérieur de l'appareil fournit l'énergie nécessaire à son fonctionnement.

Chaque jour, 3 000 litres d'eau potable sont ainsi produits, assez pour satisfaire les besoins d'un village de 500 habitants. Naïade est déjà expérimenté dans quinze pays, en Asie (Afghanistan, Pakistan, Indonésie, Inde, Chine), en Afrique (Soudan, Tanzanie, Mozambique, Ghana, Sénégal, Maroc, Burkina Faso) et en Amérique latine (Brésil, Mexique, Colombie). Mais seulement 190 unités ont été vendues dans l'ensemble de ces régions. Les raisons ? "Dans les zones rurales, les gens n'ont pas l'habitude de payer l'eau", explique M. de Reus, qui souligne le manque de volonté politique dans les pays émergents.

La machine coûte actuellement 3 500 euros. Au Mali, un pays frappé par plusieurs épidémies de choléra ces dernières années, "le maire de Bamako désire commander 200 appareils, précise le dirigeant, mais il attend un financement d'organismes non gouvernementaux".
1 000 FILTRES POUR UN DEUXIÈME TEST


Au Bangladesh, une autre technique de purification est expérimentée par l'Unesco-IHE, l'institut des Nations unies spécialisé dans l'étude de l'eau. Dans ce pays, près de 30 millions de personnes sont directement menacées par la forte présence d'arsenic dans les nappes phréatiques, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). L'absorption de ce poison entraîne, au fil des ans, "des maladies incurables", explique Caroline Figueres, chef du département d'Urban Water and Sanitation de l'institut.

Les propres chercheurs de l'institut ont mis au point un filtre anti-arsenic expérimenté actuellement en treize exemplaires dans les villages de Dhunshi, Someshpur, Bhabanipur, Charpara et Tilok. Fonctionnant sans électricité ni combustibles, le filtre utilise une matière première jusqu'à présent jetée après usage : du sable enrobé d'oxyde de fer, fixateur d'arsenic et provenant de stations d'épuration.

Jusqu'à 100 litres d'eau par jour peuvent ainsi être purifiés. L'appareil existe aussi en grand modèle, actuellement testé en Grèce et en Hongrie dans des stations de traitement d'eau de petites villes. "Plusieurs autres techniques permettent de réduire le taux d'arsenic dans l'eau, mais elles sont souvent complexes et chères, indique le professeur Branislav Petrusevski, inventeur du procédé. L'avantage est que cette technologie peut être fabriquée dans des pays en développement sans techniciens qualifiés pour l'entretenir." L'Unesco-IHE envisage de lancer un deuxième test de 1 000 filtres au Bangladesh. Un autre projet argentin, pour équiper des écoles primaires, est également en discussion. Mais dans les deux cas se pose un problème de financement. "Nous avons lancé un avis aux donateurs pour soutenir la production à grande échelle. Mais notre appel reste pour l'instant sans écho", signale Mme Figueres.
LA "PAILLE DE VIE"


En Ethiopie, un autre outil, la "LifeStraw", littéralement "paille de vie", est en phase de test depuis plus d'un an (Le Monde du 14 novembre 2005). Ce tube d'une trentaine de centimètres de long permet aux adultes comme aux enfants de purifier l'eau tout en l'aspirant. Des filtres textiles retiennent les impuretés de plus de 15 millièmes de millimètre, et une résine iodée antiseptique et des charbons actifs débarrassent le liquide des bactéries responsables de la dysenterie, de la fièvre typhoïde et du choléra. "Le test actuel est assez long, car nous voulons étudier l'impact de son utilisation sur la santé des populations", indique Vestergaard Frandsen, PDG de la compagnie. "Nous avons des contacts avec l'Inde, le Pakistan, l'Ouganda et le Congo. La moitié de la consommation d'eau se fait à domicile, nous sommes donc en train de créer un modèle de paille familiale."

Ce dirigeant, dont le produit a été, en fin d'année 2005, très médiatisé en Occident, souligne la difficulté pour dépasser la phase de test. "De multiples solutions ont été développées pour répondre aux objectifs du millénaire des Nations unies. Mais les principaux obstacles pour que ces produits arrivent sur le marché est qu'il faut avancer des preuves de leur efficacité, avec, à l'appui, des études sanitaires de terrain, longues et très chères. Une étude coûte environ 250 000 dollars. Dans le pire des scénarios, cette étude ne permettra l'utilisation que dans la zone testée ; dans le meilleur des cas, cela se fera sur toute une région."

Pour accélérer le développement des solutions qui surgissent localement, qui doit agir ? "L'implication des secteurs public ou privé fait l'objet de débats incessants entre institutions internationales, organisations non gouvernementales et pouvoirs publics, note Jean Fabre, responsable du PNUD en Europe. L'ensemble des pays en développement ne consacrent pas plus de 0,5 % de leur PIB au problème de l'eau. Une approche privée publique doit être trouvée." Une solution, évoquée depuis plus d'une décennie, qui semble avoir bien du mal à s'imposer.

Stéphane Ballong
Chiffres


1,1 milliard de personnes n'ont pas accès à des ressources suffisantes en eau potable et 2,6 milliards à un service d'assainissement de base.



1,6 million de vies pourraient être sauvées chaque année si étaient améliorées les conditions d'accès à l'eau potable, les services d'assainissement et l'hygiène, selon les Nations unies.



Sur les cent dernières années, la population mondiale a triplé, alors que la consommation d'eau destinée à l'utilisation humaine a été multipliée par six.

La moyenne mondiale de consommation d'eau est de 600 m3 par habitant et par an, dont 50 m3 d'eau potable.

La consommation quotidienne en eau à usage domestique s'élève à 600 litres par habitant en Amérique du Nord et au Japon, entre 250 et 350 litres en Europe, entre 50 et 100 litres en Asie et en Amérique du Sud, et entre 10 et 40 litres en Afrique.

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