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L'eau potable fait défaut à plus d'un milliard d'êtres humains



article de presse Nov 1980 ; 1 pages
Ed. Le Monde - Paris
Téléchargeable chez l'éditeur
Article:

Des enquêtes faites par l'Organisation mondiale de la santé (O.M.S.) en 1962. 1970, 1975 ont révélé la gravité de la situation, même lorsque les chiffres fournis par un certain nombre de pays du tiers-monde sont manifestement fantaisistes. En 1975 on estimait que dans le tiers-monde (Chine exclue) 1 233 millions de personnes n'avaient pas d'eau potable à leur disposition et que 1 350 millions ne disposaient d'aucun système hygiénique d'évacuation des excreta. En dépit des efforts faits depuis quelques années - 1 700 millions de dollars (7 140 millions de francs), provenant des gouvernements locaux ou de dons extérieurs, ont été dépensés de 1971 à 1975 pour améliorer la situation dans les zones rurales, les plus défavorisées- le nombre des personnes dépourvues d'eau potable et d'assainissement ne cesse d'augmenter à cause de la démographie galopante des pays du tiers - monde. Aujourd'hui, 1 320 millions de personnes n'ont pas accès à l'eau potable et 1 730 millions ne disposent d'aucun système d'assainissement (3).

Les maladies liées à l'eau sont, et de loin, les plus meurtrières. On estime que, sur un milliard de personnes souffrant chaque année de diarrhées dans les pays du tiers-monde. 25 millions en meurent, dont probablement près de 6 millions d'enfants de moins de cinq ans. Les diarrhées sont ainsi responsables du tiers des morts de jeunes enfants.

Il y a aussi le trachome, entraînant souvent la cécité (500 millions de cas par an), la filariose lymphatique (250 millions de cas), la bilharziose (300 millions de cas), le paludisme (160 millions de cas), l'onchocercose (30 millions de cas) provoquant, elle aussi, la cécité. A ces fléaux majeure, il faut ajouter la typhoïde, le choléra, l'amibiase, la fièvre jaune, l'hépatite, la dengue, la filaire de Médine, la maladie du sommeil, les affections cutanées, etc.

Cette variété de maladies s'explique par les différents modes d'action de l'eau.

• L'eau et la boue peuvent contenir des micro-organismes ou des parasites pathogènes et contaminer soit par contact, soit par ingestion, soit par emploi pour la toilette ou pour la vaisselle.

• L'eau ou la boue peuvent servir d'habitat à un organisme vecteur (invertébré, larve d'insecte par exemple) qui intervient obligatoirement à un stade donné du développement des micro-organismes ou des parasites pathogènes.

• L'eau est trop peu abondante pour assurer des soins minimaux d'hygiène.

En outre, et cela se comprend aisément, la saison des pluies coïncide avec une augmentation des maladies liées à l'eau. Or la fin de la saison sèche - qui provoque le rassemblement des populations autour des points d'eau, augmentant ainsi le risque de pollution - et la saison des pluies sont les périodes où l'on travaille le plus dans les champs. Dans ces conditions, les maladies entravent le travail des paysans à un moment essentiel pour les productions vivrières. Enfin, la saison des pluies, qui rend souvent les pistes impraticables, raréfie ou interdit les tournées et inspections des fonctionnaires ou experts (citadins) dans les zones rurales, dont les conditions réelles de vie restent ignorées des administrations.

Une somme énorme et... dérisoire

Fournir de l'eau propre sera sans effet notable sur la santé tant que n'auront pas été installées des latrines. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'équiper chaque maison (urbaine ou rurale) de toilettes avec chasses d'eau, mais de construire des installations très simples capables cependant de mettre toutes les matières contaminantes hors d'atteinte des adultes, des enfants, des animaux domestiques et des insectes, et d'interdire tout contact entre ces matières et les eaux de surface, ainsi que toute infiltration dans le sol de ces matières non encore épurées par des processus naturels.

Qu'il s'agisse de la fourniture d'eau propre ou de l'installation de systèmes d'assainissement, on se heurte à des problèmes de financement, d'entretien et d'éducation. Même si l'on installe les moyens techniques les plus simples, il faut faire un minimum d'investissements : mettre un puits hors d'atteinte des animaux suppose la construction d'un muret, éventuellement muni d'un couvercle ; le forage et le tubage d'un petit puits de quelques mètres de profondeur, la pose d'une pompe à main - même avec l'aide des autorités locales et d'organismes internationaux ou charitables - nécessitent un apport financier local d'une centaine de francs. Une somme qui dépasse souvent la capacité financière des intéressés-Comment aussi faire payer à des paysans quelques centimes pour l'eau tirée de la pompe, alors qu'en zone rurale l'eau (impropre certes à la consommation) ne coûte rien à ceci près que les femmes et les enfants sont souvent obligés de marcher pendant une, deux, trois ou quatre heures - parfois beaucoup plus - pour aller chercher dans la rivière la moins éloignée les vingt, trente ou quarante litres d'eau (polluée) indispensables à la vie familiale.

Fournir de l'eau potable et un minimum d'assainissement à tous les êtres humains qui en sont actuellement dépourvus coûtera cher. On estime que, pour réaliser le programme de la décennie, on devra dépenser 25 millions de dollars (105 millions de francs) par jour pendant dix ans. Cette somme peut sembler énorme, mais elle devient dérisoire lorsqu'on la compare aux 240 millions de dollars (1008 millions de francs) dépensés quotidiennement dans le monde pour les cigarettes et aux 1 400 millions de dollars (5 880 millions de francs) consacrés chaque jour aux armements.

Une fois les équipements installés, il faut encore les entretenir. Cela suppose la formation de mécaniciens et de techniciens. Rien, enfin, ne pourra être fait sans des campagnes d'information et d'éducation. Si les populations n'intègrent pas ces nouveautés dans leur système de vie et de pensée, si elles ne comprennent pas les avantages qu'elles tireront des changements de leurs habitudes, elles cesseront très vite de se servir de ces modestes innovations. Il faut aussi que les autorités locales acceptent de faire ces humbles investissements qui sont beaucoup moins prestigieux que la réalisation de grands projets (palais, stades, aéroports).

Dix ans, c'est peu pour donner eau potable et assainissement aux six milliards d'êtres humains qui vivront sur la Terre en 1990. Les organisateurs de la décennie pensent, avec réalisme, que cet objectif ne sera pas complètement atteint. Mais ils espèrent néanmoins d'importantes améliorations.


(1) Le comité directeur de la décennie réunit des représentants des Nations unies, de l'UNICEF, du Programme des Nations unies pour le développement, de l'Organisation internationale du travail, de la F.A.O., de l'UNESCO, de l'Organisation mondiale de la santé et de la Banque mondiale.

(2) La notion d'eau potable est fondée sur un ensemble de critères très divers : d'une part, limpidité, odeur, saveur; d'autre part, teneurs-limites en produits chimiques, eu éléments minéraux et en organismes pathogènes provenant ou non d'excreta humains ou animaux.

(3) Tous les chiffres cités dans cet article sont extraits d'un document établi par Earthscan à l'occasion d'un symposium réuni par cette organisation avec te concours de l'organisme de recherche néerlandais T.N.O… les 22 et 23 septembre dernier à La Haye (Pays - Bas) sur ce sujet. Earthscan est une organisation indépendante subventionnée par te programme des Nations unies pour l'environnement et gérée par l'Institut International pour l'environnement et le développement. La tâche d'Earthscan est d'Informer les médias des grands problèmes liés à l'environnement.

Mot clef:

accès à l'eau (CI) (DT) (OP)

Editeur/Diffuseur:

Le Monde - Paris
    

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