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L'« Inde propre », un défi sanitaire loin d'être gagné



article de presse Aug 2016 ; 1 pages
Ed. Le Monde - Paris
Téléchargeable chez l'éditeur
Article:

« Aujourd’hui, je peux affirmer qu’en très peu de temps, vingt millions de toilettes ont été construites dans les villages de l’Inde, et 70 000 d’entre eux ont été débarrassés de la défécation en plein air », a déclaré le premier ministre indien, Narendra Modi, du haut des remparts du Fort rouge de New Delhi, sous les applaudissements de la foule venue écouter le discours annuel du 15 août, la journée de l’indépendance.


Dès son arrivée au pouvoir en mai 2014, M. Modi avait fait de cet enjeu sanitaire l’une de ses priorités, promettant que tous les foyers indiens seraient dotés de toilettes d’ici à la fin de son mandat en 2019. On estime que plus de 550 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, pratiquent la défécation en plein air dans le pays, entraînant des problèmes de santé, mais aussi d’éducation, d’environnement et de sécurité des femmes.


Depuis deux ans, le ministère de l’eau potable et de l’assainissement a ainsi augmenté les subventions pour la construction de toilettes publiques, mais aussi pour les latrines dans les logements privés. Au total, sur les 18 milliards d’euros promis, 1,2 milliard d’euros ont été dépensés par le gouvernement pour cette campagne, baptisée, depuis octobre 2014, « L’Inde propre ».


Selon une étude officielle, 58 % des foyers dotés de toilettes en milieu rural n’ont pas suffisamment d’eau pour les utiliser

Si les efforts mis en œuvre sont indéniables, les résultats restent pour l’heure peu probants. A commencer dans les écoles. M. Modi avait assuré il y a un an que son gouvernement avait rempli sa mission d’installer des toilettes dans toutes les écoles du pays, en particulier pour les filles. Or, plusieurs enquêtes ont démontré que les latrines étaient inutilisables dans de nombreux établissements scolaires publics.


Selon une étude publiée en avril par une agence gouvernementale rattachée au ministère des statistiques, plus de la moitié (58 %) des foyers dotés de toilettes en milieu rural n’ont pas suffisamment d’eau pour les utiliser.


Et seulement un peu plus du tiers des habitations rurales possèdent un système d’évacuation des déchets. Pour le reste, l’eau des toilettes finit généralement dans la rivière la plus proche, multipliant les risques de propagation de maladies comme la diarrhée, qui provoque la mort de près de 190 000 enfants âgés de moins de 5 ans chaque année en Inde, selon l’Unicef. Et ces risques sont d’autant plus élevés dans les bidonvilles en milieu urbain, en raison de la forte densité de la population.


Pour le docteur Bindeshwar Pathak, fondateur de l’ONG Sulabh International, qui a construit plus de 1,5 million de toilettes en Inde depuis 1970, un suivi et une campagne d’information sont indissociables de la mise en place de latrines dans les villages. « Dans notre système, il n’y a aucun chaînon manquant. Nous prenons en charge la communication, l’éducation, la mise en œuvre et la maintenance », affirme-t-il.


« Un problème culturel »


Pour M. Pathak, le gouvernement doit impérativement nouer des partenariats avec des ONG sur le terrain afin d’assurer la maintenance mais surtout l’utilisation des toilettes, une pratique pas encore entrée dans les mœurs. « Les ONG et les grands groupes doivent être impliqués, les agences gouvernementales n’ont pas les moyens de mettre en œuvre ce changement à elles seules », estime-t-il, rappelant que son ONG reçoit des fonds de grandes multinationales comme Boeing et Veolia.


Selon une étude de la Banque mondiale, il faut six à huit mois en moyenne pour convaincre un village indien des bienfaits de l’utilisation des toilettes. Plusieurs enquêtes à travers le pays ont révélé que 35 % à 40 % des foyers équipés de latrines ont au moins un membre qui pratique la défécation en plein air.


« C’est un problème avant tout culturel, qui remonte à l’Inde antique. Avant l’invention des toilettes, il était conseillé d’aller faire ses besoins dans la nature, loin de chez soi », explique M. Pathak.


Pour ce dernier, l’objectif de Narendra Modi de se débarrasser de ce fléau d’ici à trois ans passe par « la formation d’au moins 250 000 personnes, afin d’assurer la mise en place et le suivi [de l’utilisation] » de toilettes. L’offre de 120 millions de toilettes s’avérera largement inefficace si elle ne répond pas à une véritable demande.

Mots clefs:

ATPC Assainissement Total Piloté par la Communauté (CI) (DT) (OP) , latrine, toilettes (CI) (DT) (OP)

Pays concerné:

Inde (CI) (DT) (OP)

Editeur/Diffuseur:

Le Monde - Paris
    

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