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Les toilettes, une « passion » japonaise…



article de presse Aug 2014
Aut. Philippe Mesmer
Ed. Le Monde - Paris
Téléchargeable chez l'éditeur
Article:
6 août 2014, par Philippe Mesmer
Les toilettes, une « passion » japonaise…

Au Japon, les toilettes ont toujours été une affaire sérieuse. Sans doute moins inhibés que l'Occident à l'égard du corps et de ses fonctions, les Japonais s’intéressent ouvertement à cet élément du quotidien. Il a sa journée, le 10 novembre, et donne lieu à des expositions comme celle organisée jusqu’au 5 octobre au Miraikan -le musée des sciences et de l’avenir- de Tokyo.

L’événement se focalise sur « les déjections humaines et l’avenir de la planète ». Il pourait donner une impression de légèreté. Il y a un atelier modelage des selles. Il y a aussi un toboggan installé dans une cuvette géante pour mimer avec accompagnement sonore la « plongée » dans le réseau de tout-à-l’égoût. Et puis il y a les mascottes à la forme de selles « Buritto kun » et « Burittoni chan ».

Mais l’exposition a également une vocation éducative. Elle rappelle les indications données sur la santé par l’état des selles, l’importance de l’hygiène et de la propreté, la difficulté de gérer les déjections de millions de personnes dans une ville et la complexité d’un réseau d’évacuation le moins polluant possible. On y découvre également un modèle de toilettes utilisées dans l’espace et l’usage de l’urine et des selles comme engrais naturels –courant autrefois au Japon pour la culture du riz. Les recherches sur cette technique se poursuivent.

L’événement rappelle également que 2,5 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès aux toilettes. Un problème qui mobilise l’ONU et les ONG. L’organisation suédoise Peepoople distribue au Kenya ou encore en Syrie les sacs Peepoo, biodégradables et pouvant décomposer chimiquement urine et selles.

L’histoire des toilettes japonaises n’est pas oubliée. Des lieux d’aisance de l’époque d’Edo (1603-1868) sont reproduits : cuvette en porcelaine blanche à motifs bleus, fixée dans un coffrage de bois sombre, avec, face à elle, un fenestron au niveau du sol. A l’époque, on ne parlait pas de « toire » version japonisée du « toilet » anglais. On évoquait le « kawaya » sans doute parce qu’autrefois, les toilettes étaient installées le long des rivières (« kawa »).

Un point qui rappelle Junichiro Tanizaki, auteur en 1933 de l’Eloge de l’ombre (Tradution française René Sieffert, ed. Verdier) dédiée à la conception japonaise du beau. « Comparé à l’attitude des Occidentaux, écrit-il au sujet des toilettes, qui, de propos délibéré, décidèrent que le lieu était malpropre et qu’il fallait se garder même d’y faire en public la moindre allusion, infiniment plus sage est la nôtre, car nous avons pénétré là, en vérité, jusqu’à la moelle du raffinement ». L’auteur détaille le lieu d’aisance idéal, qu’il situe dans un monastère de Kyoto ou de Nara, qui serait « à la propreté méticuleuse » et se dissimulerait « à l’abri d’un bosquet d’où parvient une odeur de vert feuillage et de mousse ».

Il y aurait dans la langue japonaise une bonne vingatine d’onomatopés plus ou moins enfantines, caractérisant les différentes formes et sensations observées et ressenties lors d’un passage aux toilettes. Parmi eux, « murimuri » évoque l’étron de qualité, reflet de la du système digestif.

Dans l’archipel, la question fait l’objet de recherches avancées. En 2005, Junichi Hirata, alors vice-président de l’association japonaise des toilettes, avait établi une carte mondiale des manières de faire ses besoins, accroupis ou assis.

Hideo Nishioka, professeur émérite de l’université Keio, s’intéresse à la question depuis les années 60. La ville de Tokyo l’a consulté pour régler l’épineuse question des toilettes publiques pendant les Jeux olympiques de 1964. Ses études des habitudes de nombreux pays et bien sûr du Japon l’avaient notamment conduit à créer un indice, le TOT, le taux d’occupation des toilettes (31,7 secondes pour un Japonais, 1 minute 37 pour une Japonaise). Dans les années 80, il a publié une somme sur l’usage du papier hygiénique dans le monde.

Cette « passion » japonaise s’est traduit par de multiples innovations qui ne laissent pas d’intriguer l’étranger de passage, avant de le ravir, tant les lieux d’aisance de l’archipel savent mêler hautes technologies et confort. Qui ne s’est pas extasié à la propreté des toilettes japonaises, publiques ou non ? Qui n’a pas soupiré d’aise en posant son séant sur une cuvette chauffée, l’hiver venu, dans une maison froide ? Qui n’a pas apprécié la musique d’ambiance effaçant la gêne d’une libération trop bruyante ? Qui n’a pas pianoté sur le petit ordinateur permettant de régler la température du siège ou la force du jet final ?

Tout un savoir-faire qui a permis à plusieurs groupes, Toto (contraction de Toyo Toki, céramique de l’Orient) ou encore LIXIL-INAX, d’acquérir une réputation unique dans le monde.

Mots clefs:

latrine, toilettes (CI) (DT) (OP) , rites et cultures (CI) (DT) (OP)

Pays concerné:

Japon (CI) (DT) (OP)

Editeur/Diffuseur:

Le Monde - Paris
    

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