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L'accès à l'eau, défi mondial


article de presse Mar 2006
Aut. Gaëlle Dupont
Ed. Le Monde - Paris
Article:
Une arrivée d'eau potable et des toilettes : ces installations, si familières aux yeux des habitants des pays riches, manquent encore dramatiquement au sud de la planète. En Amérique du Sud, en Afrique, en Asie, plus d'un milliard d'humains n'ont pas accès à une eau saine, et 2,6 milliards à un assainissement de base.

Les conséquences sont graves. L'eau insalubre est la première cause de mortalité sur la planète, devant la malnutrition. Chaque année, 8 millions de personnes meurent de maladies liées à la présence d'eaux stagnantes ou polluées, comme le choléra, la diarrhée ou la typhoïde. La moitié sont des enfants de moins de cinq ans.

Le 4e Forum mondial de l'eau, qui doit rassembler plusieurs milliers de participants du 16 au 22 mars à Mexico, sera l'occasion de rappeler ces faits. "L'eau est le premier facteur de développement, affirme Loïc Fauchon, président du Conseil mondial de l'eau (CME). Si on ne règle pas cette question, on laisse galoper des maladies qui déciment la population, mais on entrave aussi l'accès à l'éducation et la participation au développement économique."

Car lorsque l'eau manque, les femmes et les enfants, chargés de cette corvée, sont contraints à des kilomètres de marche chaque jour. L'autre solution est d'acheter l'eau potable à des intermédiaires, porteurs ou propriétaires de camions-citernes. Mais elle est alors payée au prix fort, sans garantie de qualité.

Les Nations unies ont fixé un cap, dans le cadre des Objectifs de développement du millénaire (ODM), qui définissent les efforts à fournir pour lutter contre la pauvreté. Sur la question de l'eau, le but est de réduire de moitié, d'ici à 2015, la proportion de personnes n'ayant pas accès à l'eau et à l'assainissement. Accéder à l'eau potable, c'est disposer de 20 litres d'eau saine par personne, disponibles à moins d'un kilomètre.

"Les objectifs du millénaire correspondent au niveau où en était la France dans les années 1930, avec de l'eau au robinet dans les grandes villes et au puits dans les campagnes, résume M. Ténière-Buchot. Pour l'assainissement, ils correspondent à la France des années 1960." L'assainissement de base correspond à une simple évacuation des eaux usées par les égouts, et non à leur traitement avant le rejet dans le milieu naturel. En France, il a été généralisé seulement à partir des années 1980.

Le défi est donc colossal : les pays en développement doivent réaliser en quelques années ce que les pays riches ont mis deux siècles à construire. Pour atteindre les Objectifs du millénaire, 260 000 personnes supplémentaires devraient être raccordées chaque jour au réseau d'eau potable et 370 000 à l'assainissement. De plus, ces pays doivent faire face à une explosion démographique. Si un tiers de la population ciblée vit en milieu rural, les deux tiers habitent les bidonvilles de mégapoles en croissance exponentielle et anarchique. En 2030, les deux tiers de la population mondiale vivront dans des villes, dont 2 milliards de personnes dans des bidonvilles. Cette population urbaine pauvre sera la principale victime du manque d'eau.

"Nous ne sommes pas bien placés pour remplir les Objectifs du millénaire, prévient M. Fauchon. En étant optimiste, on peut dire que nous faisons du surplace. Il faut sonner le tocsin." Les disparités s'accroissent : si la Chine et l'Inde sont en bonne voie pour l'eau potable, grâce à leur croissance économique, la situation de l'Afrique s'aggrave. Sur l'assainissement, les progrès se font attendre partout.

Contrairement aux idées reçues, l'impuissance de la communauté internationale et des Etats concernés n'est pas liée au manque de ressources en eau. Ainsi, dans les pays d'Afrique équatoriale ou d'Amérique latine, où l'eau est abondante, entre la moitié et le quart de la population n'a pas accès à une eau saine. Au contraire, dans certains pays arides, le service est assuré à 100 %. Car les raisons de la crise sont avant tout politiques et financières. Si l'eau est disponible gratuitement dans le milieu naturel, l'acheminer vers les consommateurs et l'évacuer réclame une volonté politique et des moyens.

"Pour un Etat, il est plus simple de s'impliquer dans la distribution de l'énergie ou dans les grandes infrastructures, pour lesquelles la demande sociale est forte et qui peuvent être gérées de façon centralisée, explique Pierre Victoria, directeur des relations internationales chez Veolia-eau. L'eau est une ressource de proximité qui ne peut pas se transporter, et doit être pensée localement." M. Fauchon résume l'enjeu d'une phrase : "L'eau potable vaut bien le téléphone portable. Il nous faut convaincre, poursuit-il, que l'eau doit passer avant l'implantation d'antennes-relais, la construction d'aéroports neufs ou de routes qu'on ne pourra pas entretenir." Question de volonté politique donc, mais aussi de moyens financiers. Les investissements nécessaires sont lourds et peu rentables à court terme. Selon diverses estimations, les investissements nécessaires pour atteindre les Objectifs du millénaire sont évalués entre 7,5 et 25 milliards d'euros annuels.

L'aide au développement, qui s'élève aujourd'hui à quelque 4 milliards d'euros par an, et dont l'effet de levier sur les autres financements est important, devrait doubler pour atteindre l'objectif, selon le CME. Or la part de l'aide internationale affectée à l'eau stagne, tandis que d'autres postes, comme l'aide d'urgence, explosent.

Devant le manque d'investissements publics, les institutions monétaires internationales ont encouragé la privatisation des services d'eau. Une politique très contestée. "En prenant le contrôle de l'eau potable, ressource vitale qui se raréfie, elles (les compagnies privées) tiennent le monde entre leurs mains", écrivent Roger Lenglet et Jean-Luc Touly dans L'Eau des multinationales (Fayard, 2006). "La ressource reste un bien commun et public, répond Dominique Pin, directeur chargé du développement durable chez Suez-environnement. La puissance publique doit définir les objectifs, l'entreprise privée apporter son savoir-faire."

Certains échecs cinglants, subis notamment par Suez en Amérique du Sud, où elle fut confrontée à la fois à la contestation des populations devant le prix du service et à des crises politiques et financières, modèrent les ambitions. "Les résultats atteints par le secteur privé n'ont souvent pas été à la hauteur des attentes", relève le rapport des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau, publié le 9 mars. Le rapport estime malgré tout qu'il "ne faut pas faire une croix sur l'action du secteur privé". Mais les grandes compagnies, qui desservent aujourd'hui 3 % de la population mondiale, sont "très prudentes", reconnaît M. Pin.

Un autre espoir se dessine aujourd'hui : voir les collectivités locales s'approprier la question de l'eau et remédier à la "crise de la gouvernance" diagnostiquée par les Nations unies. Car, si des financements sont alloués à l'eau, encore faut-il qu'ils atteignent les bons destinataires.

"Cette ressource ne sera bien utilisée que si la gestion s'opère au plus près des utilisateurs", résume Jean-François Donzier, directeur de l'Office international de l'eau (OIE). "Le pouvoir central dans les pays pauvres n'est pas toujours vertueux, explique M. Ténière-Buchot. Plus on répartira la manne financière par petites sommes, plus la corruption deviendra difficile." Enfin, l'intégration des populations locales est une condition indispensable de la réussite. "Elles doivent impérativement prendre part à la construction et à la gestion des infrastructures", affirme Christophe Le Jallé, coordinateur du programme Solidarité-eau, qui travaille en Afrique.

Un autre débat surgit alors, celui du prix de l'eau et du financement du service. Qui doit payer ? Les consommateurs, les contribuables, les deux ? "L'aide internationale a un rôle très important à jouer pour les infrastructures, mais le fonctionnement doit être financé nationalement et localement, quitte à mettre en place des mécanismes de péréquation entre les différentes catégories de population selon leurs revenus", analyse M. Le Jallé. Selon cette ONG, c'est le meilleur moyen d'impliquer la population afin d'assurer le fonctionnement des infrastructures après leur construction. Et d'empêcher, comme il arrive souvent, que des réseaux soient laissés à l'abandon après leur construction, faute de volonté, de compétences locales et de moyens.

Gaëlle Dupont

Mot clef:

accès à l'eau (CI) (DT) (OP)

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