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Au Pérou, l'accès à l'eau potable reste un privilège



article de presse Aug 2009
Aut. Chrystelle Barbier
Ed.
Le Monde - Paris
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Téléchargeable chez l'éditeur
Article:
Il est à peine 5 heures quand de puissants coups de klaxon se font entendre dans les rues terreuses de Naranjal, un immense quartier déshérité du nord de Lima. "C'est le camion-citerne. Le matin, il en passe au moins un toutes les demi-heures", explique Amanda Solis. Cette quinquagénaire habite le quartier depuis plus de quatorze ans. "Quand nous sommes arrivés, cette zone n'était qu'un terrain vague, mais on nous a promis que nous aurions rapidement l'eau et les services de base à domicile", raconte-t-elle.

Pourtant, le quartier entier n'a toujours pas de système d'assainissement et, comme six millions de Péruviens (sur 28 millions), aucun des 150 000 habitants de Naranjal n'a encore accès à l'eau potable. "Nous achetons l'eau au camion-citerne et la gardons dans un réservoir en ciment", raconte Celia Quisuruco, qui, à 37 ans, ne sait pas ce que c'est que de vivre avec de l'eau courante : "Mes parents sont venus de province il y a quarante-six ans et se sont installés sur la colline Candela voisine, où nous n'avons jamais eu ce service."

Comme la majorité de ses voisins, cette mère de famille achète chaque jour un "cilindro" d'eau de 200 litres, pour la somme de 2 soles (0,50 euro) : un budget très important pour elle et son mari, qui gagnent à eux deux 25 soles (6,25 euros) par jour.

"Nous utilisons cette eau pour toute la famille, pour la cuisine, s'hydrater, se laver et, si l'on peut, faire la lessive. Mais il faut bien calculer ses besoins, car elle coûte très cher", souligne Celia, qui avoue ne pouvoir baigner ses quatre enfants que deux fois par semaine. A titre de comparaison, la consommation d'eau potable en France est en moyenne de 150 à 160 litres par jour et par habitant.

"Le pire est que les gens des quartiers pauvres de Lima payent l'eau beaucoup plus cher que les habitants des zones riches", s'insurge Abel Cruz, qui préside depuis 2005 le Mouvement des "sans-eau", une association qui se bat pour les Péruviens privés d'accès à l'eau potable. En effet, alors que dans les quartiers huppés de la capitale raccordés aux réseaux de distribution, un mètre cube d'eau coûte 1,60 sol (0,40 euro), cette même quantité d'eau revient à 10 soles (2,5 euros) quand il faut passer par les camions-citernes.

"Les pauvres payent six fois plus cher pour une eau dont ils ne sont même pas sûrs de la qualité", s'énerve Abel Cruz, qui assure que les propriétaires de certains camions prélèvent l'eau de nappes polluées du sous-sol, au lieu se fournir auprès de Sedapal, l'entreprise publique chargée de traiter les eaux de Lima, comme la loi leur en fait obligation.

"Cette eau n'est pas bonne, les enfants la boivent et tombent sans cesse malades", s'inquiète Amanda Solis, qui se bat depuis neuf ans aux côtés de ses voisins pour que Naranjal soit relié au réseau de distribution et d'assainissement de Sedapal. En 2005, ils avaient cru parvenir à leurs fins quand l'entreprise publique avait construit un énorme réservoir en haut de la colline Candela. Quatre années plus tard, ce réservoir reste désespérément vide, comme de nombreux autres édifiés dans le reste de la ville.

"A cette époque, Sedapal était chargée des travaux d'infrastructure majeurs et ne s'occupait du réseau secondaire que s'il y avait les fonds", explique le président de l'entreprise, également vice-ministre de la construction et de l'assainissement, Guillermo Leon Suematsu, qui reconnaît que c'était une "mauvaise formule", mais insiste sur le "changement de priorité" impulsé par le président de la République, Alan Garcia, depuis son arrivée au pouvoir, en 2006.

Cela fait donc trois ans que l'Etat subventionne les travaux de Sedapal et d'autres entreprises, dans le cadre de son programme "De l'eau pour tous" ("Agua para todos"). "Depuis 2006, 1 831 projets concernant l'accès à l'eau et à l'assainissement ont été mis en place dans le pays, ce qui représente un investissement de 4 600 millions de soles (1,15 milliard d'euros)", précise le vice-ministre. L'objectif est que, en 2011, 4,4 millions de personnes puissent avoir accès à l'eau potable. En trois ans, deux millions de Péruviens ont déjà été connectés au réseau, dont 128 000 familles à Lima.

"Le problème subsiste en province et dans les zones rurales qui sont délaissées, mais il est vrai que des efforts sont faits dans les villes", constate Abel Cruz, qui est reconnaissant à Alan Garcia d'avoir fait de l'accès à l'eau une de ses priorités politiques. "Cependant, on aimerait plus de rapidité et d'efficacité dans l'exécution des ouvrages", insiste le président du Mouvement des sans-eau, qui craint que les projets en cours prennent une dimension politique à l'approche de l'élection présidentielle prévue en 2011.

"Le problème, c'est que ces ouvrages ne se font pas en un an, mais en deux ou trois ans", répond le président de Sedapal, qui s'engage à ce que les habitants de Naranjal aient accès à l'eau à la fin 2010. "On espère qu'il tiendra parole, mais on nous a tellement promis de choses au cours des dernières années qu'on a du mal à y croire, avoue Amanda Solis. Celia Quisuruco, elle, se prend à rêver de "pouvoir baigner (ses) enfants tous les jours."
Chrystelle Barbier

Mots clefs:

accès à l'eau (CI) (DT) (OP) , péri-urbain (CI) (DT) (OP) , population à faible revenus (CI) (DT) (OP)

Pays concerné:

Pérou (CI) (DT) (OP)

Editeur/Diffuseur:

Le Monde - Paris
    

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