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Résumé
Les grandes entreprises concessionnaires ont du mal à assurer
le service de leau dans les petits centres et dans les quartiers
irréguliers des grandes villes, car leur structure et leur
politique commerciale sont mal adaptées à ces zones
marginales ou peu rentables. Pourtant, ces zones abritent une partie
importante et en pleine croissance de la population des pays du Sud,
et en labsence dun service de leau " moderne ",
il existe évidemment un service de leau alternatif, assuré
par des opérateurs privés qui appartiennent en général
au secteur informel. HydroConseil a mené des études sur
ces opérateurs dans cinq pays. Elles révèlent
leur grand dynamisme, leur intelligence commerciale et leur poids économique
prépondérant dans le secteur, en termes demplois,
de chiffre daffaires et de nombre de familles desservies. Tout
programme dapprovisionnement en eau doit intégrer ces opérateurs
privés, trop longtemps ignorés parce que les dispositifs
des projets, calqués sur le fonctionnement du service de leau
dans les pays du Nord, ont du mal à les prendre en compte.
Mots-clés : Opérateur privé
- Informel - Eau potable - Service de leau - Petit centre -
Quartier irrégulier
Pourquoi une action de recherche sur les opérateurs
privés ?
Ce programme de recherche a concerné les quartiers mal lotis,
irréguliers ou périphériques de trois capitales
(Port-au-Prince, Dakar et Nouakchott) et de deux grandes villes (Kayes
et Bobo Dioulasso). Il sest également intéressé
aux centres secondaires de quatre pays (Mali, Sénégal,
Mauritanie et Burkina Faso), où les entreprises nationales ninterviennent
pas.
Il ne sagit pas dune recherche universitaire, mais de la
capitalisation de lexpérience de huit organisations (ONG
et bureaux détudes), engagées sur des programmes dapprovisionnement
en eau dans ces cinq pays, qui ont constitué un réseau déchange
dinformations : HYDROCONSEIL, AFVP, GRDR, GRET, FAQ, EPUREH,
IFAN, DRH Hauts Bassins.
Le nombre et la diversité des opérateurs rencontrés
à loccasion des enquêtes de terrain ont confirmé
a posteriori lhypothèse de départ de cette action
de recherche, à savoir quune grande partie du service de
leau (et la quasi-totalité des services dassainissement)
est assurée par des opérateurs privés (pour la
plupart dans le secteur informel), même si ces opérateurs
étaient jusqualors " invisibles " et navaient
fait lobjet que de quelques rares études.
Une approche originale : mettre en cohérence
" micro " au " macro "
Lactivité des opérateurs privés a été
abordée, chaque fois que cela est possible, à deux échelles
: une échelle macro-économique (pour évaluer le
poids de ces acteurs dans le secteur de leau potable à léchelle
de toute une ville) et une échelle micro-économique
(pour analyser la dynamique propre des entreprises). Loriginalité
de lapproche était de faire converger les informations
provenant de ces deux analyses jusquà obtenir un ensemble
cohérent, sans tomber dans la myopie (ne prendre en compte que
laspect anecdotique du micro) ni dans la presbytie (raisonner à
partir de données exclusivement macro-économiques).
Les opérateurs privés représentent
un poids économique considérable
A partir de lanalyse des chiffres daffaires des opérateurs
de cinq villes (voir tableau ci-après), nous avons démontré
que le budget moyen consacré à leau potable est de
4 à 9 US $ par personne et par an, ce qui représente 2 à
3 % du PNB par habitant dans ces pays (ce qui nest pas négligeable,
mais est quand même sensiblement plus faible que les
pourcentages un peu affolants que lon trouve dans de nombreux
documents de projet).
Les petits opérateurs privés (porteurs deau,
charretiers, gérants de bornes-fontaines, camionneurs,
exploitants de citernes, exploitants de forages...) jouent un rôle
tout à fait majeur en matière dapprovisionnement
en eau potable. Dans les cinq villes étudiées, les opérateurs
privés du secteur de leau potable réalisent entre
21 % et 84 % de la valeur ajoutée de la filière, bien quils
se situent pour la plupart dans le secteur informel. Une analyse économique
sérieuse du service de leau ne peut donc jamais faire limpasse
sur ces opérateurs privés.
La part des opérateurs privés (en termes de volume
distribué et de valeur ajoutée) est généralement
plus importante dans les petits centres que dans les grandes villes.
La ville de Port-au-Prince fait ici figure dexception, à
cause de latrophie du secteur public.
La distribution deau en petites quantités est une
activité qui génère par ailleurs de très
nombreux emplois. Il y a nettement plus demplois chez les opérateurs
privés de la distribution deau (3 à 15 fois plus
!) que dans les entreprises concessionnaires (publiques ou privées).
Le personnel employé représente 2 à 4 pour mille
de la population des villes concernées, soit 1 à 3 % des
emplois réguliers. |
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Un service complémentaire à
celui des entreprises publiques
Le service offert par les opérateurs privés complète
celui des entreprises concessionnaires, qui ne répondent pas
bien à la demande des populations à faibles revenus. Les
opérateurs privés se développent précisément
dans les " interstices " du service public, cest-à-dire
quils complètent les lacunes du service offert par les
entreprises nationales (publiques ou privées), en répondant
notamment à une demande atomisée, dans des quartiers mal
lotis ou dinstallation récente.
On constate par ailleurs que la part du marché de leau
et des emplois occupés par les opérateurs privés
est inversement proportionnelle aux performances de lentreprise
nationale concessionnaire du service de leau. Une entreprise
comme la SDE à Dakar, privée et libérée de
la charge du financement des infrastructures (supportée par la
SONES), assure un service de qualité dans pratiquement tous les
quartiers de la ville. Les opérateurs du secteur informel ninterviennent
donc quen marge de la SDE, pour lalimentation en eau des
chantiers ou pour le portage à domicile. Dans ce cas, la part
du secteur privé dans le chiffre daffaires de lactivité
de distribution deau atteint seulement 20 %. A lopposé,
une entreprise comme la CAMEP, à Port-au-Prince, ne dessert que
la moitié des quartiers et 13 % des familles. De plus, le réseau
nest en pression que quelques heures par semaine dans chaque
quartier. Dans ces conditions, les opérateurs privés
assurent un rôle beaucoup plus important et leur activité
représente 80 % du chiffre daffaires du secteur.
Des opérateurs dynamiques, qui
occupent tous les segments laissés vacants par les autres
acteurs
Dans certaines situations où le service assuré par lopérateur
national est particulièrement médiocre, on constate que
les opérateurs privés peuvent occuper tous les segments
de la filière " eau potable ", constituant une filière
parallèle à celle de lopérateur national.
Le meilleur exemple est Port-au-Prince, où la dégradation
progressive du service public métropolitain a suscité la
création de producteurs deau privés (forages en périphérie
de la ville), de transporteurs deau privés (les camions
qui vont livrer leau dans les quartiers non ou mal desservis par
lopérateur national), et enfin de revendeurs deau
privés (en gros - ce sont les citernes - ou au détail -
ce sont les porteurs).
Le passage au secteur formel ne conduit pas
forcément à une amélioration de la qualité
du service
On trouve parfois affirmée lidée que pour améliorer
le service offert par ces opérateurs alternatifs (meilleure
qualité, prix plus stable, etc.), il faut les faire passer dans
le secteur formel, ce qui facilite leur encadrement et leur formation.
Aucun élément recueilli au cours de nos travaux ne vient
confirmer cette hypothèse. La formalisation est une contrainte
forte pour des opérateurs dont la survie dépend surtout
de ladaptabilité à un marché irrégulier
et atomisé. La formalisation et son lot de contraintes conduit
donc le plus souvent à une augmentation des coûts
(charges supplémentaires) et à une détérioration
du service (moindre adaptation à la demande). Le meilleur
exemple est linterdiction de la revente de voisinage, qui a plus
souvent pour effet de placer la borne-fontaine " formelle "
en situation de monopole, sans pour autant que lon ait plus de
garantie sur la qualité du service.
Il faut savoir choisir entre opérateur
réel et opérateur idéal
Quel que soit le pays, le trait marquant des métiers de leau
dans les petits centres ou les quartiers périurbains est le
dynamisme des opérateurs et la diversité de leurs stratégies.
Dans le cadre des projets dapprovisionnement en eau potable, on
a souvent tendance à faire limpasse sur les opérateurs
existants (un peu vite déclarés " non compétents
") pour promouvoir un opérateur idéal, mais
artificiel, censé servir de modèle pour lensemble
de la filière.
Lexemple typique de ce travers est la maintenance des petits réseaux
dadduction deau. Pour assurer cette fonction, loption
choisie est souvent de " former un réparateur villageois ",
sous prétexte quil restera sur place. Dans la réalité,
le réparateur " villageois " abandonne son activité
(car son chiffre daffaires est trop faible) ou quitte le village
(pour vendre ses compétences ailleurs), et lon obtient leffet
inverse de celui recherché...
Faut-il monter des projets de "
pro-motion " des opérateurs privés ?
Bien que limportance de ces opérateurs privés
soit majeure, les dynamiques de type " projet " ont du mal à
leur apporter un appui efficace :
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