retour imprimer © Lettre du pS-Eau 54 de Jun 2007

Coopération décentralisée Liban - Lille métropole

Des collectivités locales libanaises créent une agence de développement municipal


Les acteurs du partenariat Lille Métropole/Liban réunis lors d'un comité de pilotage, notamment M. Pierre Mauroy et Mme Danielle Defontaine, président et vice-présidente de LMCU, Mme Ghosseini, présidente de la Fédération des municipalités du Chouf-Es-Souyanni
© LMCU

Les relations entre Lille Métropole(1) et le Liban sont anciennes et solides. L'adduction d'eau et l'assainissement en sont les domaines privilégiés à travers la mise en œuvre d'un plan d'actions pluriannuel précurseur, innovant quant aux nouveaux rôles et outils d'intervention des municipalités libanaises.

Quinze années de conflit ont fortement dégradé les capacités du service public de l'eau au Liban, dont la gestion, selon les textes en vigueur, reste à la charge de l'Etat. Une réforme institutionnelle du secteur de l'eau a été engagée en 2001, visant à mettre en place des établissements régionaux de l'eau. Ces organismes seront chargés de planifier, gérer, exploiter et entretenir à l'échelle régionale les ouvrages de distribution, d'irrigation et de collecte et traitement des eaux usées. L'Etat libanais a aujourd'hui pleinement conscience des enjeux d'une gestion durable des ressources hydrauliques, plus particulièrement de l'eau potable. Mais cette réforme n'est à ce jour pas encore entrée en application. Alors que l'Etat transfère actuellement la gestion des ressources communales aux autorités locales, la réforme inachevée du secteur de l'eau, ajoutée au manque d'autonomie, limite les municipalités dans leurs initiatives locales.

C'est pourquoi la coopération décentralisée entre Lille Métropole et ses deux partenaires du Liban met l'accent sur l'appui institutionnel et le renforcement de la maîtrise d'ouvrage municipale.
Elle insiste également sur l'aspect démonstratif et réplicable des actions menées. La coopération avec la fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani a débuté en 1999, un an après l'organisation d'élections municipales libres.

Malgré ce pas important dans le processus démocratique local, la situation des gouvernements locaux et des municipalités reste très précaire en terme d'autonomie financière et institutionnelle. Les autorités locales souffrent également d'un déficit, voire de l'absence de moyens en personnel technique, pour gérer leurs projets de développement et offrir les services publics de bases à la population.
Conscientes de cette faiblesse, les municipalités du Chouf-Es-Souayjani se sont regroupées en fédération. Elles sont ainsi devenues une structure intercommunale, comparable à Lille Métropole et disposant des mêmes compétences.

La fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani, structure intercommunale composée de neuf municipalités (60 000 habitants), se situe au sud de la région administrative du Mont-Liban, dans le caza du Chouf, qui s'étend de la côte méditerranéenne jusqu'aux sommets de la montagne du Barouk, à environ 70 km au sud de Beyrouth. Cette région montagneuse constitue une zone amont qui distribue des eaux sur plusieurs bassins versants. La gestion des eaux y est d'une importance capitale pour tenir compte des impacts possibles sur l'aval hydrologique et hydrogéologique. Or cette zone n'est dotée d'aucun réseau d'assainissement. Les eaux usées se déchargent dans des fosses perméables, impliquant des infiltrations dans les milieux souterrains et des rejets polluants en surface. Les matières de vidange sont également évacuées dans les rivières environnantes, sans aucun traitement préalable.

La ville de Bkassine (5 000 habitants), se situe quant à elle à l'extrême sud de la chaîne du Mont Liban, dans le caza de Jezzine. Assez proche de la zone du Chouf, elle fait déjà partie de la région administrative du Sud-Liban. La localité est occupée pour moitié par la plus grande forêt de pins pignons du Liban, qui constitue la principale source de revenus des populations locales. Des sources permanentes, drainées autrefois jusqu'au village par un réseau souterrain de tunnels, l'alimentaient en eau. Ce réseau, laissé à l'abandon du fait de l'absence de structure municipale pendant les années de conflit, est en grande partie obstruée. L'eau qui continue de s'écouler est polluée par des constructions « spontanées » en amont, dépourvues d'infrastructures de collecte et traitement des eaux usées. Désormais, la forêt est mise en danger et les habitants contraints d'acheter l'eau potable sur le marché privé. Cette situation a encore été aggravée par l'arrivée massive de populations réfugiées durant le conflit de l'été 2006.

La situation de la ressource en eau est ainsi jugée critique sur ces deux territoires. Mais les deux collectivités, en premier lieu la fédération des municipalités du Chouf-Es-Souyanni, qui a interpellé Lille Métropole dès 1999, se sont voulues innovantes et précurseurs concernant le rôle des municipalités dans la gestion de l'eau et de l'assainissement.

Au-delà des impacts socio-économiques et environnementaux importants des actions menées en terme d'adduction d'eau potable et d'assainissement, le défi à relever est le renforcement des municipalités libanaises. Les différents programmes de coopération décentralisée entre Lille Métropole et ses partenaires libanais se sont ainsi fixés pour objectifs :
• le développement des compétences locales par le biais de la création et du renforcement d'une agence de développement municipal ;
• l'organisation de formations et d'échanges d'expériences dans le domaine de la gestion locale ;
• la mise en œuvre d'outils et de procédures d'appui à la maîtrise d'ouvrage municipale et ce dans le cadre d'une logique de projets et de planification ;
• la mise en place de cadres de sensibilisation et de concertation avec les habitants et les acteurs institutionnels et associatifs.

Le schéma d'acteurs des partenariats concourt à ce renforcement de la maîtrise d'ouvrage communale tout en permettant la réalisation d'actions concrètes répondant aux besoins identifiés conjointement.
Un comité de pilotage, coprésidé par les présidents de chacune des collectivités locales libanaises et le président de Lille Métropole, se réunit au minimum une fois par an afin de valider l'état d'avancement des volets du programme de coopération. Il regroupe l'ensem-ble des acteurs institutionnels impliqués ou concernés par les thèmes du programme de coopération.

Un comité technique, piloté par le coordinateur local de l'agence de développement municipal et le responsable du service coopération décentralisée de Lille métropole, se réunit au minimum deux fois par an. Il est chargé de préparer les réunions du comité de pilotage et d'assurer la mise en œuvre, la coordination, le suivi et l'évaluation des actions du programme. L'ensemble des techniciens, des opérateurs, des consultants et des experts mobilisés pour l'exécution du programme participent à ce comité technique.

L'agence de développement municipal, enfin, prépare pour la fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani et la ville de Bkassine les réunions nécessaires à la coordination et à l'information de tous les acteurs institutionnels.

La maîtrise d'ouvrage déléguée du programme est confiée à l'association libanaise Solidarité et développement (Tadamoun wa Tanmia). Elle a une mission d'opérateur et d'appui technique auprès des municipalités. Cette association dispose d'une solide expérience en matière de développement local et a largement contribué à la création de la première plate-forme d'ONG et d'associations à Saïda. Compte tenu de la faible autonomie administrative et financière des municipalités au Liban et des lourdeurs de l'administration, les municipalités libanaises et Lille Métropole ont confié à cette association la gestion et le suivi administratif de la mise en œuvre des actions de coopération et du fonctionnement de l'agence de développement municipal.


Un schéma directeur eau et assainissement pour Chouf-Es-Souayjani
Lille Métropole et la fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani ont engagé une importante coopération autour de plusieurs axes de développement : la gestion des résidus urbains, l'eau et l'assainissement, l'urbanisme et l'aménagement, la sécurité routière, la concertation et la sensibilisation à l'environnement.
D'une première mission d'évaluation, en novembre 1999, au lancement du dernier programme pluriannuel 2005-2007, Lille Métropole et la fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani ont mis en œuvre quelques grands projets concrets et élaboré différents schémas directeurs sectoriels.

Lille Métropole a appuyé la fédération dans l'étude des besoins de son territoire en matière de gestion des eaux usées. Les termes de référence pour la réalisation d'un tel schéma ont été élaborés par les deux partenaires, qui en ont conjointement, au sein du comité de pilotage, contrôlé la réalisation, confiée à un bureau d'études.
Ce schéma directeur propose un état des lieux détaillé de la situation sur 6 des 9 municipalités de la fédération : équipements existants, topographie et cartographie du milieu, quantité et qualité des eaux à traiter, délimitation des bassins versants, niveaux d'équipements des habitants, raccordements… Il définit également une politique globale (technique, économique, financière, de communication) en investissement et en fonctionnement.

Les dispositions préconisées dans le schéma directeur sont aujourd'hui en cours de mise en œuvre sur le terrain : la fédération exécute les travaux de trois stations d'épuration à sa propre charge, alors que des réseaux primaires seront prochainement construits par le Conseil de développement et de reconstruction de l'Etat libanais.
Trois municipalités ne figuraient pas dans la première étude : la première pour des raisons de difficulté topographique et de contrainte financière ; les deux autres disposaient d'un réseau de canalisation des eaux usées avec un système d'épuration de type lagunage. Les études menées actuellement permettront de couvrir, d'ici fin 2007, l'ensemble des 9 municipalités de la fédération du Chouf-Es-Souayjani.

Une approche de développement durable à Bkassine
Lille Métropole et la municipalité de Bkassine ont développé une coopération non moins ambitieuse dans les domaines de l'eau et de l'assainissement dès 2004. Connaissant la nature de son intervention dans la fédération du Chouf-Es-Souayjani, limitrophe du caza de Jezzine auquel elle appartient, Bkassine a interpellé Lille Métropole fin 2003. Les études et actions menées depuis visent à développer un cycle intégré de gestion de l'eau, de l'approvisionnement au traitement, dans le cadre d'une approche de développement durable.

Le quartier de Dhour a été créé pour construire des logements d'urgence suite au tremblement de terre qui a secoué la municipalité de Bkassine en 1956. Les habitations n'ont pas été pourvues de dispositifs de collecte et de traitement des eaux usées qui ont depuis été rejetées dans le milieu naturel. Il fallait donc trouver une solution afin de remédier à ces problèmes d'assainissement du quartier en vue de préserver d'une part la ressource en eau, et d'autre part l'environnement, plus particulièrement la forêt de pins pignons.

La première phase du projet s'est déroulée en 2004 : elle a consisté à établir un diagnostic précis et à définir le schéma de collecte et d'assainissement des eaux usées du quartier de Dhour.

La deuxième phase a permis de réaliser les travaux des ouvrages de collecte et d'assainissement entre 2005 et 2007. Un réseau de collecte des eaux usées et une station d'épuration ont été construits sous la maîtrise d'ouvrage de la municipalité de Bkassine avec l'assistance de l'agence de développement municipal et de Lille Métropole. La station est aujourd'hui en phase de test jusqu'en février 2008.

La municipalité s'est engagée, pour limiter les infiltrations d'eaux usées, dans un contrôle périodique des anciennes fosses septiques. Elle propose des mesures incitatives pour favoriser leur fermeture.
Un manuel d'exploitation est également en cours de réalisation. La municipalité a nommé au sein de son conseil municipal un élu responsable de la maintenance et de l'exploitation de cet ouvrage.
La réhabilitation des galeries souterraines de la forêt de Bkassine permettra à la municipalité d'assumer ses missions de service public en recouvrant les moyens d'une gestion municipale et autonome de l'approvisionnement en eau potable.

Un patrimoine naturel et culturel à préserver
Ces tunnels, artificiels et souterrains, ont été creusés par les habitants au début du siècle dernier avec l'aide technique d'ingénieurs français de l'Ecole des mines. Ils permettaient autrefois l'approvisionnement en eau potable du village mais n'assurent plus aujourd'hui, faute d'entretien, un débit suffisant pour répondre aux besoins des villageois (moins de la moitié de ces canaux fonctionnent encore actuellement).

Un travail de mémoire a tout d'abord été réalisé par la commune de Bkassine et des informations relatives aux galeries ont été recueillies grâce au témoignage des anciens ayant jadis eu accès aux tunnels. Des visites au cœur des galeries ont par la suite permis de dresser un état des lieux sommaire et de classer les tunnels en trois catégories : galeries sans aucun système de soutènement ; galeries avec parois de mur de soutènement en pierre de taille ; galeries avec voûtes en berceau.

Le volume d'eau moyen autrefois restitué était de 150 m3 par jour. La réhabilitation de l'ensemble de ces tunnels permettra de tripler ce volume et d'atteindre un débit journalier de 450 m3, suffisants pour répondre aux besoins des habitants. Actuellement, la majeure partie des besoins en eau du village est assurée par l'achat de citernes et de bouteilles (gallons) à des prestataires privés. Le prix de l'eau gérée par la municipalité de Bkassine sera moins élevé que le prix de vente actuel sur le marché privé et cette gestion municipale apportera une garantie de qualité et de traçabilité.

Le problème de la pollution en amont de la nappe phréatique étant résolu, la remise en état des galeries d'eau souterraines pouvait être envisagée. La municipalité de Bkassine, avec l'assistance de l'agence de développement municipal et Lille Métropole, a élaboré un plan de réhabilitation des 20 tunnels existants. Engagé fin 2006, ce plan sera achevé au premier semestre 2008. Cette réhabilitation s'inscrit également dans un programme plus large de développement du patrimoine naturel et culturel que la municipalité mène depuis plusieurs années.
Inscrit dans un contexte politique fragile, le partenariat de coopération tripartite, soutenu par le ministère français des Affaires étrangères a su proposer un mode d'organisation précurseur et obtenir des résultats prometteurs.

« Coopérons pour un développement durable qui nous rassemble » ces mots que Mme Ghosseini, présidente de la fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani, et Mme Defontaine, vice-présidente de Lille Métropole, ont prononcé lors de leur allocution commune au Forum de Mexico en 2006, témoignent d'un fort engagement.


1 La communauté urbaine de Lille (Lille Métropole) regroupe 85 communes et plus d'un million d'habitants.

Historique des grandes phases de l'intervention de Lille Métropole au Liban
LMCU – Fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani
1999-2001 : identification, études de faisabilité et programmation des actions
2002-2004 : exécution, conduite et suivi du premier programme pluriannuel (4 volets : déchets, assainissement, urbanisme, sensibilisation à l'environnement) – bilan et définition d'un nouveau programme
2005-2007 : lancement du deuxième programme pluriannuel (5 volets : déchets, assainissement, urbanisme, sécurité routière, sensibilisation et communication municipale)

LMCU – Ville de Bkassine
2003-2004 : identification et étude de faisabilité projet d'assainissement de Dhour
2005-2007 : mise en œuvre du projet d'assainissement du quartier de Dhour / études de faisabilité du projet de réhabilitation des tunnels d'adduction en eau potable
2006-2008 : mise en œuvre du projet de réhabilitation des tunnels d'adduction en eau potable

L'Agence de développement municipal
La mise en place, en 2002, de l'agence de développement municipal répondait à la nécessité d'avoir sur place une équipe locale rassemblée dans une même structure :
– pédagogique et méthodologique : véritable observatoire de la vie locale, municipale et intercommunale ;
– d'aide à la décision : agence de développement qui renforcera les capacités de maîtrise d'ouvrage de la fédération,
– d'analyse et d'études : agence technique qui identifie les compétences et les capacités de maîtrise d'œuvre à mobiliser ;
– de mise en œuvre et de suivi : agence opérationnelle de coopération.
Au vu des difficultés institutionnelles que rencontrent les municipalités
pour constituer des services techniques, il a été demandé à l'association Solidarité et développement de mettre en place et de gérer administrativement cette agence.
Composée d'un coordinateur local, ingénieur, et d'une secrétaire assistante mise à disposition par les municipalités, l'agence de développement municipal doit préfigurer pour les élus de véritables services techniques.
La fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani et la ville de Bkassine mettent chacune à disposition de l'agence un bureau sur leur territoire et une secrétaire à mi-temps.
L'agence est cofinancée par Lille Métropole avec l'aide du ministère français des Affaires étrangères.

Financements des différents programmes de coopération
Coût global comprenant le temps passé des ingénieurs de LMCU, les frais de missions au Liban et l'accueil des délégations libanaises, le fonctionnement de l'agence de développement municipal, les frais d'études et d'expertises,
les travaux, les publications.
Programme 2002-2004 LMCU - Fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani
Coût total : 1 029 513,51 euros (dont 707 446 pour la réhabilitation de la décharge de Slayeb)
MAE (FSP) : 450 000 euros
FMCES : 291 500 euros
LMCU : 288 013 euros
Volet assainissement 78 303 euros (études, temps passé, missions)
Programme 2005-2007 LMCU - Fédération des municipalités du Chouf-Es-Souayjani
Coût prévisionnel : 412 000 euros (dont 70 710 pour le volet assainissement)
MAE (FSP) : 170 000 euros
FMCES : 65 436 euros
LMCU : 176 564 euros
Programme 2005-2007 LMCU - Bkassine (réseau d'assainissement et station d'épuration)
Coût prévisionnel : 953 000 euros (dont 794 423 euros pour les travaux)
MAE (FSP) : 360 000 euros
Bkassine : 180 000 euros
LMCU : 413 000 euros
Programme 2006-2008 LMCU - Bkassine (réhabilitation des tunnels d'aduction en eau potable)
Coût prévisionnel : 1 518 000 euros
MAE : 40 000 euros
AFD : 500 000 euros
Bkassine : 221 000 euros
Agence de l'eau Artois Picardie : 150 000 euros
LMCU : 607 425 euros

Cette action vient de recevoir l'appui financier de deux nouveaux partenaires : l'Agence de l'eau Artois-Picardie et l'Agence française de développement


Agence de Développement Municipal
Imad Ibrahim
Email:
dmagence@hotmail.fr
Site internet: www.localiban.org

Lille Métropole
Email: coopdec@cudl-lille.fr
Site internet: www.lillemetropole.fr

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LOCALIBAN - Saïda - Liban
MEL - Lille - France
 

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