retour imprimer © Lettre du pS-Eau 63 de Oct 2010

Une démarche originale de mobilisation sociale en faveur de l'assainissement ou de l'accès à un assainissement de base.

Mali: Eau potable, assainissement et maraîchage à Lakanguémou


Jardin de femmes maraîchères, mars 2009
L'utilisation à des fins agricoles de l'eau du château d'eau implique une gestion économe de la ressource.(©ENDA)

L'association pour la promotion de l'eau à Lakanguémou (APEL), qui rassemble en région parisienne environ 800 ressortissants de ce village, s'est entourée de plusieurs partenaires techniques et financiers pour mener à bien un projet comprenant trois volets : adduction d'eau, assainissement, maraîchage. Concilier ces différents usages malgré une ressource rare, assainir les eaux grises et sensibiliser les populations aux bonnes pratiques d'hygiène, tels furent les principaux enjeux de ce partenariat.

Grâce en partie à l'effort des ressortissants et de leurs associations, de nombreux villages de la région de Kayes sont aujourd'hui dotés d'adductions d'eau fonctionnelles et viables. Pour s'en tenir au seul cercle de Yelimané, 39 villages sont équipés d'adductions d'eau dont 64 % ont été financées par les associations de ressortissants.
Cependant, ces initiatives n'ont pas toujours été accompagnées des mesures nécessaires permettant la pérennité des infrastructures, notamment les mesures de renforcement des capacités institutionnelles et de gestion des acteurs locaux, et les mesures d'accompagnement indispensables à un développement des pratiques d'hygiène et à un bon usage des nouvelles technologies.

De même, la question des rejets d'eau usée consécutifs à l'arrivée de ces équipements d'AEP a peu été prise en compte. Longtemps négligé, l'assainissement, solide et liquide, fait aujourd'hui l'objet d'une politique spécifique et de stratégies sectorielles (Programme sectoriel eau et assainissement en 2005, Politique nationale sur l'assainissement adoptée le 28 janvier 2009). Cependant, les réalisations d'assainissement relèvent en majeure partie dans cette région d'initiatives isolées et artisanales. Si celles-ci démontrent une prise de conscience de la part de la population, elles restent insuffisantes. L'absence de systèmes techniquement satisfaisants est une cause majeure du développement du paludisme et d'autres maladies d'origine hydrique : on relève dans la région de Kayes le taux le plus élevé de diarrhées (17 %o pour une incidence nationale de 15 %o).

De plus en plus conscientes de ces enjeux, les autorités locales ou les associations de ressortissants cherchent à mobiliser des partenaires techniques et financiers afin de pallier ces insuffisances. L'Association pour la promotion de l'eau à Lakanguémou (APEL) a ainsi été à l'origine d'un projet mené en multipartenariat avec :
– l'entreprise publique Eau de Paris, chargée en partie du financement, de la formation et du suivi technique de l'adduction d'eau de Lakanguémou ;
– le SIAAP (Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne), en charge de la formation et du suivi de l'installation des infrastructures d'assainissement liquide ;
– l'ONG Enda Mali (Environnement Développement Action) pour assurer l'ingénierie sociale, et son partenaire Enda Europe, chargé du suivi administratif et financier et de la coordination entre les partenaires.

Partageant une approche globale de la gestion de l'eau, les partenaires ont intégré trois volets dans le projet commun : un volet adduction d'eau, un volet assainissement, et un volet maraîchage, afin de traiter la question de l'eau dans toutes ses dimensions, sociale, environnementale, économique et sanitaire.

De l'eau potable pour les jardins­­­ : un choix épineux
Depuis le lancement du projet en 2007, de nombreux équipements ont été installés : le château d'eau a été inauguré en novembre 2007, trois bornes-fontaines ont vu le jour dans les trois jardins maraîchers ainsi que plusieurs borne-fontaines publi­ques. L'école publique et la me­dersa (école coranique) disposent ensemble de quatre lave-mains. Et 279 puisards (systèmes d'assainissement individuel) ont été construits. Pour toutes ces activités, le recours à la main-d'œuvre locale a été privilégié, favorisant une diversification des sources de rémunération pour les maçons de Lakanguémou, formés par les ingénieurs du SIAAP.

Le système de puisard, rustique, très facile à construire et à utiliser, a été considéré par les partenaires du projet comme le plus approprié au milieu concerné, rural et enclavé. La question de l'installation de trois bornes-fontaines dans les jardins maraîchers a fait l'objet d'une discussion entre les partenaires au début du projet : l'utilisation à des fins agricoles de l'eau du château d'eau, originellement destinée à la consommation humaine, pouvait pa­raître déraisonnable dans une région où l'eau est une ressource rare et précieuse. Cependant, du fait aussi de la sécheresse, l'eau des puits ne pouvait suffire à atteindre un volume de production maraîchère assurant l'autosuffisance alimentaire et un début de commercialisation des produits maraîchers. Ce type d'expérience révèle avec acuité comment dans la pratique l'atteinte de deux objectifs du Millénaire, à savoir l'accès à l'eau et l'autosuffisance alimentaire, sont parfois difficiles à concilier.
L'option de l'installation de trois bornes-fontaines dans les trois jardins maraîchers a finalement été prise par les partenaires en accord avec la population, et l'accent a été mis sur la gestion économe de l'eau dans le cadre des formations dispensées.

Une formation à l'hygiène spécifique à chaque groupe
Parallèlement à ces réalisations physiques, le volet accompagnement social pris en charge par Enda occupe une place centrale dans le projet. Des outils et des messages spécifiques ont été élaborés pour chaque groupe-cible (écoliers, personnels de santé, femmes, etc.) en fonction de leurs préoccupations et activités particulières. L'objectif poursuivi était néanmoins le même, à savoir le développement d'une prise de conscience, individuelle et collective, des impacts sanitaires du man­que d'hygiène d'une part, et de l'importance d'une gestion économe de l'eau d'autre part. Les élèves des écoles ont monté, avec l'appui d'Enda Mali et l'ensemble du personnel enseignant, des pièces de théâtre mettant en scène les pratiques individuelles et collectives concomitantes à l'arrivée des nouveaux équipements (prévention sanitaire, gestion de l'eau dans les jardins, maintenance et entretien des puisards). Les saynètes ont été jouées à plusieurs reprises dans les différents quartiers de Lakanguémou ; elles ont aussi été régulièrement adaptées pour intégrer les nouveaux défis au fur et à mesure de l'avancée des activités.

Le personnel de santé a été formé à la prévention des maladies d'origine hydrique ; il a aussi été mobilisé pour réaliser tous les six mois un relevé du paludisme et des diarrhées hydriques afin d'évaluer les impacts de l'assainissement dans le village. Enda Mali a ensuite travaillé plus étroitement avec les 9 relais locaux chargés par le chef de santé d'identifier et de prévenir les maladies les plus graves par des interventions directes dans les concessions. Il s'agissait d'intégrer et d'accentuer dans leur cahier pédagogique la prévention des maladies spécifiquement liées au manque d'hygiène.
Les femmes maraîchères ont aussi fait l'objet d'un accompagnement particulier, d'une part, au titre du rôle majeur qu'elles occupent dans l'éducation des enfants et de la famille, et d'autre part, au titre de leur rôle économique conféré par leur activité de maraîchage. Con­cernant ce dernier aspect, elles ont reçu des formations aux techniques de production maraîchères, dont le compost, et à une gestion durable de l'eau dans les jardins.
Les membres de l'association de la jeunesse, le comité de gestion, le personnel des écoles ont eux aussi été formés et sensibilisés selon la même méthode d'action.

Parallèlement à ce travail de mobilisation de chaque groupe de la population, il paraissait essentiel de prévoir des moments de mobilisation communs et des moyens de communication entre les différents groupes. C'est dans ce souci qu'a été favorisée l'organisation de plusieurs journées de salubrité pour tout le village. Le comité de gestion de l'eau, formé en conséquence, a été responsable de la coordination de tous les acteurs locaux du projet et du suivi de l'ensemble des activités (gestion de l'eau mais aussi coordination des travaux d'assainissement et suivi des activités maraîchères.

La radio rurale, un outil collectif efficace
Plusieurs membres du comité de gestion de l'eau sont aussi les animateurs de la radio rurale de Lakanguémou, un moyen de communication commun et participatif privilégié par les partenaires du projet. L'usage de la radio comme outil de diffusion de messages relatifs à l'assainissement et à l'hygiène a été initié par Enda Mali lors de ses premières émissions puis repris par des délégués de tous les groupes à travers l'animation d'é­missions thématiques faisant intervenir successivement tous les acteurs concernés.

Grâce à ces moments de mobilisation, la commune et les acteurs villageois ont pu mieux échanger. Au-delà des rencontres avec le maire organisées lors de chaque émission, le dialogue avec la municipalité a été nourri durant toute la réalisation du projet : le maire a été invité à intervenir par Enda Mali dans plusieurs émissions de la radio de Kirané – commune à laquelle est rattachée Lakanguémou – en soulignant l'effet démultiplicateur attendu de l'expérience. Il a aussi participé à toutes les manifestations organisées à Lakanguémou autour de l'assainissement (journées de salubrité, tournoi sportif, etc.). Les relations, au départ relativement distantes entre la commune et les acteurs villageois, se sont bonifiées avec l'avan­­cement du projet.

Les impacts de l'accompagnement d'Enda Mali et du renforcement des capacités sont aujourd'hui visibles : le comité de gestion de l'eau, au départ exclusivement constitué des notables et des anciens du village, est aujourd'hui composé de 17 jeunes rémunérés par l'APEL. Chacun est responsabilisé et autonome autour de tâches clairement définies : collecte et suivi des factures d'eau, comptabilité, coordination de la construction et de la maintenance des puisards, suivi des activités de maraîchage.
Si le comité de gestion ne compte aujourd'hui qu'une femme, il suit en continu les activités des femmes dans les jardins, et rend compte de leurs préoccupations et de leurs difficultés aux partenaires du projet et aux autres acteurs locaux.

La directrice du jardin d'enfants assure en partie l'animation de la radio locale en invitant régulièrement des femmes maraîchères à intervenir sur des thèmes tels que l'hygiène dans l'éducation, la gestion économe de l'eau dans les jardins, etc.
Au moins une fois par semaine, le comité de gestion invite le chef de santé à intervenir sur les impacts sanitaires du manque d'hygiène et d'assainissement. Il assure aussi un relevé régulier des maladies d'origine hydrique. Pour la période janvier 2008-décembre 2009 ce suivi a enregistré une diminution de près de 30 % des diarrhées d'origine hydrique et de près de 40 % des cas de paludisme.

Un tarif préférentiel pour les femmes maraîchères
En dépit des efforts consentis, les femmes maraîchères ont commencé à exprimer environ un an après le début du projet des difficultés dans le paiement de l'eau pour les jardins.
Ce constat a donné lieu à une période de concertation active à différents niveaux : à Paris entre Enda Europe, l'APEL, le SIAAP et Eau de Paris, et à Lakhanguémou entre les associations de femmes, les autres acteurs locaux, notamment le chef de village, et le comité de gestion de l'eau avec la médiation permanente d'Enda Mali. Le problème a aussi été soumis à deux reprises au maire de Kirané sur place et à Paris lors d'une visite de celui-ci. Les échan­ges ont porté principalement sur la situation financière et les capacités à payer des femmes. Le rôle devenu majeur des activités de ma­raîchage a été reconnu dans l'alimentation des enfants et dans l'économie générale du village.

Ces analyses relevées et discutées en conseil de village lors d'une mission d'Enda Mali et en présence de représentants de l'APEL ont débouché sur l'accord suivant : le village devait compenser l'effort consenti par les femmes pour l'amélioration des conditions alimentaires et économiques de la population de Lakanguémou en fixant un « prix social de l'eau » adapté à leur situation et à leurs contraintes. La décision a donc été adoptée par consensus et en tenant compte de l'expérience des autres partenaires, en particulier d'Eau de Paris, de réduire de 50 % ce prix du m3 d'eau pour les trois membres des trois associations de femmes maraîchères. Cette décision ne devait pas pour autant dispenser la poursuite et le renforcement des formations à une gestion économe de l'eau passant notamment par des techniques d'arrosage évitant tout gaspillage, une alternance renforcée entre l'utilisation des bornes-fontaines et le recours aux puits.

Aucune difficulté particulière n'a depuis été exprimée tant par les associations de femmes que par le comité de gestion et personne n'a contesté la décision du village. Une étape importante semble donc avoir été franchie. Elle témoigne d'une forte appropriation par l'ensemble du village des enjeux et arbitrages liés à une bonne gestion de l'eau mais aussi des évolutions sociales liées à cette gestion commune.
Le maire souhaite appuyer toutes les synergies d'actions entre les associations de jeunes des différents villages de la commune afin de développer de nouvelles opportunités pour la jeunesse. Lors de la journée de salubrité organisée à Lakanguémou, il a manifesté sa volonté d'appuyer l'organisation amorcée par l'association de la jeunesse du village, de collecte et du tri des déchets en complément des activités d'assainissement liquide et de production de compost initiées par le projet. Il s'agit ainsi de faire de l'expérience inédite de Lakanguémou un "modèle" en ma­tière d'organisation sociale autour des activités d'assainissement pour enclencher une dynamique analogue au sein des autres villages de la commune et de l'ensemble du cercle de Yélimané.


Mélodie Beaujeu
Enda Europe
Email:
melodie.beaujeu@enda-europe.org
Site internet: www.enda-europe.org

Frédéric Darsaut
SIAAP
Email: Frederic.DARSAUT@siaap.fr

Larissa Illyine
SIAAP
Email: Larissa.ILLYINE@siaap.fr
Site internet: www.siaap.fr

ENDA Mali - Bamako - Mali
SIAAP - Paris - France
 

Formation des associations de femmes maraîchères, 2008
Grâce aux puisards, à la formation de personnel de santé et à la sensiblisation des populations aux problèmes d'hygiène, les contrôles sanitaires enregistrent une baisse de 30 % des diarrhées d'origine hydrique et de près de 40 % des cas de paludisme.(©Enda)

Construction des puisards, 2008
 

©Lettre du pS-Eau 63 de Oct 2010

   © pS-Eau 2024